19 février 2013

Cumul des mandats

Cumul des mandats : les socialistes rompent une quatrième fois leur promesse

Le Monde.fr| 08.02.2013
Par Samuel Laurent

L'interminable saga du cumul des mandats se poursuit, et pourrait continuer jusqu'en 2017. C'est cet horizon qu'a fixé Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, dans un entretien à Libération. 
Le président de l'Assemblée, qui fut longtemps député et président du conseil général de Seine-Saint-Denis, y explique que "comme cette évolution nécessite une révision constitutionnelle, le non-cumul ne pourra s'appliquer d'ici les municipales", selon le socialiste. "Notre contrat avec les Français sera de l'appliquer en 2017."
Une nouveauté : jusqu'ici, personne n'avait réellement évoqué la nécessité d'un référendum ou d'une révision constitutionnelle. La commission Jospin, chargée par François Hollande de plancher sur le sujet, évoquait une simple loi organique.

M. Bartolone semble assuré qu'il faudrait consulter le peuple, et menace même les élus : "Attention, vous ne pourrez pas aller devant le peuple français défendre le cumul des mandats, donc acceptez une sortie par le haut." Sous-entendu : ne repoussez pas le vote du texte en Congrès, sous peine d'être désavoués par les électeurs si le chef de l'Etat décide de recourir à un référendum.
Mais cet avertissement cache une réalité, celle d'un nouveau recul de l'entrée en vigueur de cette mesure, plébiscitée par l'opinion mais refusée mordicus par une classe politique accro au cumul des mandats, exception française dans le monde. Les trois quarts des parlementaires français ont plus d'un mandat, contre 24 % en Allemagne, par exemple. Et sur cette question, les socialistes au pouvoir vont de renoncement en renoncement.



LE PS PROMET LA FIN DU CUMUL DE SES ÉLUS DEPUIS 2010
Le Parti socialiste s'est engagé depuis très longtemps à mettre un terme au cumul des mandats lorsqu'il arriverait au pouvoir. En 2009, le parti a consulté ses militants par référendum, et ceux-ci ont voté, à une écrasante majorité, en faveur de "l'impossibilité de cumuler (...) un mandat de parlementaire avec une présidence d'exécutif local ou la participation à un exécutif" pour les élus socialistes. Date butoir pour que les élus socialistes se confortent à cet engagement : 2010. En théorie.
Car la promesse ne fut jamais respectée. Ce sont les sénateurs socialistes qui ont obtenu de Martine Aubry un délai, la gauche étant en capacité de remporter la majorité au Sénat. La première secrétaire d'alors a accepté de reporter l'application de la règle, et demandé aux élus de s'engager par écrit à abandonner leurs présidences d'exécutifs locaux avant septembre 2012. Une promesse à laquelle François Hollande avait souscrit durant la primaire socialiste.

ARRIVÉS AU POUVOIR, LES SOCIALISTES AVAIENT FIXÉ UNE DATE BUTOIR EN 2014 

Mais une nouvelle fois, les élus socialistes n'ont pas tenu leurs engagements. Tous les arguments sont bons : avant la présidentielle, c'était la perspective des sénatoriales de septembre 2012 que la gauche savait pouvoir remporter, qui avait permis aux sénateurs cumulards d'obtenir un sursis de Martine Aubry. Ensuite ce fut le fait de ne plus avoir besoin d'anticiper la loi, qui devait arriver incessamment Certains socialistes estimaient qu'ils n'avaient pas de raison de se "tirer une balle dans le pied"' en cessant de cumuler si les autres partis n'y étaient pas tenus eux aussi.
Car François Hollande et son gouvernement l'avaient promis, le cumul des mandats devait être réformé, pour tous les partis, avant les municipales de 2014. Le cap était fixé. Il a été rappelé par Jean-Marc Ayrault lors de son discours de politique générale, le 3 juillet 2012 : "La fin du cumul de mandats pour les parlementaires sera applicable en 2014".
Une promesse reprise par le successeur de Martine Aubry à la tête du PS, Harlem désir avec toutefois un bémol, qui ouvre la voie à un nouveau délai : la loi doit permettre aux députés qui démissionneraient de leur mandat national, pour conserver leur mandat local, d'être remplacés par leurs suppléants. A l'heure actuelle, la démission d'un député entraîne une législative partielle.

COMMISSION JOSPIN ET NOUVELLES PROMESSES

En septembre 2012, date butoir théorique pour le cumul des élus PS, quelques personnalités quittent leur mandat exécutif local, mais ils sont très minoritaires.
En novembre, la commission Jospin rend ses conclusions (PDF). Annoncée par François Hollande en juillet, elle devait réfléchir à une réforme institutionnelle. Elle préconise d'interdire aux ministres d'exercer un mandat, et recommande que les parlementaires ne puissent cumuler leurs fonctions avec la présidence d'un exécutif local (ils peuvent garder un mandat local de conseiller général ou régional), "dans la perspective d'évolution vers un mandat unique". Il s'agit donc d'une étape à ses yeux. Une étape qui doit, assure la commission, "être mise en place dès les prochaines élections locales". Donc, une fois encore, en 2014.
Mais le "lobby" des cumulards socialistes n'a pas dit son dernier mot. Il est fort au Sénat, où François Rebsamen, chef de file des socialistes, plaide sans trêve pour le statut particulier des sénateurs. La perspective de municipales difficiles à gauche, où l'on craint que l'usure du pouvoir se traduise par la perte de villes en 2014, est aussi un argument fréquemment invoqué.

LE FLOU DE HOLLANDE ET UN NOUVEAU REPORT DIFFICILEMENT JUSTIFIABLE

Lors de ses vœux aux parlementaires, le 15 janvier, François Hollande revient sur la question. Et se garde bien de donner une nouvelle date. "J'ai demandé au premier ministre de préparer un projet de loi pour en terminer avec le cumul d'un mandat national avec un mandat d'exécutif local. Cette réforme entrera en vigueur pendant le quinquennat, si les parlementaires en décident", explique-t-il. La réforme n'est donc plus annoncée pour 2014.
Bruno Le Roux continue de tabler sur cette date sur LCI le 23 janvier : "Elle [la réforme] sera votée avant 2014 et je souhaite qu'elle soit mise en œuvre en 2014." Mais la brèche a été ouverte par le chef de l'Etat. Le nouvel argument est celui évoqué par Harlem Désir : si on veut modifier la loi pour que les suppléants des députés puissent les remplacer, il faut une réforme constitutionnelle. Donc soit les deux tiers des voix des députés et sénateurs, soit un référendum. Une position que reprenait déjà Claude Bartolone en janvier.

La boucle est bouclée. Dans son entretien à Libération, Claude Bartolone semble donc avaliser le nouveau recul des socialistes sur ce sujet, du fait de cette nécessité de modifier la loi pour permettre aux suppléants des députés de les remplacer. Est-ce réellement nécessaire ? Sur l'ensemble des cumulards, il semble probable qu'une majorité préférerait conserver son mandat de député à son mandat local.

Elu de Paris, le député PS Christophe Caresche a publié vendredi une tribune dans laquelle il fait part de ses doutes quant à la nécessité impérieuse d'une réforme constitutionnelle. Il assure que le régime des suppléants de députés "ne relève pas de la Constitution mais d'une loi organique. L'article 25 de la Constitution stipule qu'une loi organique 'fixe les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs...'. Rien de plus clair. Le vote d'une telle loi ne nécessite pas de réunir une majorité de trois cinquième, ni même de recueillir l'accord du Sénat. Il convient seulement qu'en dernière lecture la loi organique soit votée par la majorité des membres de l'Assemblée nationale et non pas uniquement par la majorité des votants. La gauche dispose de cette majorité."

M. Caresche reconnaît cependant que la loi pourrait être retoquée par le Conseil constitutionnel, mais juge ce risque minime. Quoi qu'il en soit, l'argument justifie ce report, qui n'est jamais que le quatrième des socialistes sur cette réforme, plébiscitée par 71 % des Français selon le dernier sondage sur la question. Promise pour 2009 par Martine Aubry aux militants socialistes, repoussée en 2012, puis en 2014, la fin du cumul des mandats pourrait donc être en place en 2017. Huit ans plus tard.

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