DIMANCHE - Faut-il généraliser le travail le dimanche? La question est posée depuis que la justice a interdit aux magasins de bricolage d'ouvrir le septième jour de la semaine. Avant de trancher, le gouvernement -qui est divisé sur l'opportunité d'étendre les dérogations existantes- a décidé lundi 30 septembre de confier une mission à Jean-Paul Bailly.
D'ici à fin novembre, l'ancien patron de la Poste devra entendre les idées défendues par les deux camps. Celles des syndicats qui défendent le droit des salariés au repos dominical. Mais aussi celles des libéraux qui ne veulent pas d'entraves au travail de chacun.

Le HuffPost a fait la liste des arguments qui sont régulièrement avancés par les défenseurs du travail le dimanche. Ils parlent augmentation de salaires, créations d'emplois, hausse de la croissance ou concurrence déloyale. Autant de raisons qu'il convient bien souvent de préciser ou de nuancer.

Près d'un tiers des Français le fait déjà
Les derniers chiffres publiés par le ministère du Travail remontent à une enquête publiée en octobre 2012. Elle montrait qu'en 2011, 29% des Français avaient travaillé, occasionnellement ou habituellement le dimanche. Cependant, seulement 13% des travailleurs français le faisaient de manière "habituelle". Cela vient du fait que si le droit du travail édicte que le salarié "ne peut travailler plus de 6 jours par semaine", de très nombreuses dérogations, permanentes ou temporaires, sont prévues: pour les commerces sans salariés, les commerces alimentaires (jusqu'à 13h), pour les commerces en zone touristique ou dans les agglomérations de plus d'un million d'habitants.
L'étude de la Dares montrait ainsi que 73% des boulangers travaillent le dimanche, 89% des aides-soignants, 92% des pompiers, 95% des gendarmes et même 100% des stewards et hôtesses de l'air.
Tous les commerces peuvent ouvrir cinq dimanches par an
Une "exception générale" est également prévue par la loi et concerne potentiellement tous les commerces de détail non alimentaires. Sur autorisation administrative (préfet ou maire), un commerce peut ouvrir jusqu'à cinq dimanches par an. Ces ouvertures ont traditionnellement lieu durant la période des soldes (le premier week-end) et pendant le mois de décembre pour préparer les cadeaux de Noël. Selon plusieurs sources, le gouvernement réfléchit à augmenter le nombre de ces dérogations. BFMTV évoque jusqu'à trente ouvertures par an.
L'emploi a tout à y gagner
Et si l'inversion de la courbe du chômage passait aussi par la généralisation du travail le dimanche? Ce pourrait être l'argument massue au regard des résultats obtenus par d'autres pays qui ont récemment changé leur législation. Ainsi, au Canada, il est admis qu'ouvrir les commerces de détail le dimanche a fait progresser l'emploi de 3,1% dans la branche. Selon les calculs du Figaro, en France, cela pourrait se traduire par la création de 34.000 à 102.000 emplois.
Les Français sont favorables à l'extension
A l'automne 2012, 63% des Français se disaient favorables à l'ouverture des magasins qui le souhaitent le septième jour de la semaine. "Par rapport à il y a dix ans, il y a une plus nette majorité de Français favorables", soulignait alors Federico Vacas, directeur de clientèle chez Ipsos, qui avait réalisé le sondage pour Metro, LCI et NRJ.
L'enquête montrait néanmoins une vraie fracture entre les zones urbaines (78% de Franciliens favorables) et les zones rurales (seulement 50%). Les résultats sont également partagés selon les âges. Alors que les jeunes (15-19 ans) et les seniors (plus de 70 ans) y sont très nettement favorables, les populations actives sont plus réticentes. "Sans doute parce qu'ils se projettent et se disent qu'ils pourraient être concernés", expliquait Ipsos.
Les étudiants ne peuvent travailler que le dimanche
La polémique a déjà été relancée par le débat sur le travail en soirée, suite à l'affaire du magasin Séphora sur les Champs-Elysées. Travailler hors des horaires classiques en journée est la seule solution pour les étudiants de trouver un job. Les témoignages se sont multipliés ces derniers jours dans les médias, à l'image d'Eleanor Leloup, 24 ans qui travaille chaque week-end dans le magasin Leroy Merlin d'Ivri-sur-Seine. "Je suis outrée par la décision du tribunal: du jour au lendemain je risque de me retrouver sans salaire, ce sont mes études qui sont en danger", explique celle qui dit gagner 800 euros par mois. Dans ce magasin, qui a bravé l'interdiction d'ouverture, le directeur précise que sur les 300 salariés, un tiers travaille le dimanche, "essentiellement des étudiants".
Du pouvoir d'achat en plus
C'est un argument qui revient avec insistance. Travailler le dimanche permet de gagner plus. Mais c'est loin d'être le cas pour tous les salariés concernés. Le code du travail est clair à ce sujet. Pour les entreprises dont l'ouverture le dimanche est la règle (restauration, sécurité, transport...) aucune contrepartie, notamment salariale n'est exigée. En revanche, les salariés qui travaillent le dimanche après une autorisation administrative (délivrée par le maire ou le préfet), doivent avoir un jour de congé supplémentaire et être payé au moins 50% de plus qu'un jour "normal". Pour les syndicats, revenir sur le régime dérogatoire reviendrait à faire du dimanche un jour comme les autres, ce qui aboutirait à terme à une généralisation de la rémunération sans supplément.
La croissance pourrait progresser
En 2007, un rapport du Conseil d'analyse économique revenait sur l'ouverture des commerces le dimanche aux Pays-Bas. Il était noté que le temps hebdomadaire consacré au shopping a augmenté dans les années qui ont suivi cette loi. "Ce dernier constat laisse penser qu’une partie de la population se trouvait contrainte dans le temps qu’elle consacrait à faire des courses avant la dérégulation. L’argument selon lequel les courses du dimanche se substituent à celles faites un autre jour de la semaine, n’est donc pas validé par cette expérience", écrivent les économistes, auteurs de l'étude.
Mais tous, au gouvernement, ne reprennent pas l'enquête à leur compte. "Aucune étude claire n'a démontré que l'ouverture des magasins le dimanche permettait de relancer la consommation", estime le ministre délégué à la Consommation Benoit Hamon. D'autres vont même plus loin, allant jusqu'à critiquer une dérive de la société de consommation qui pousse à toujours plus acheter.
La concurrence est déloyale entre magasins
Le mille-feuilles de dérogations adoptées depuis plusieurs années aboutit parfois à des situations ubuesques. Les magasins de jardinage et/ou d'ameublement ont le droit d'ouvrir le dimanche, selon les termes de la loi Chatel adoptée en 2008. En revanche, alors même qu'ils vendent parfois des produits identiques, les magasins de bricolage n'ont pas le droit d'être ouverts. C'est ce que vient de rappeler la justice, obligeant Leroy Merlin et Castorama à fermer et ce que dénoncent les responsables de ces enseignes.
Autre concurrence, celle qui découle de la création en 2009 des "périmètres d'usage de consommation exceptionnel" (Puce). Dans les faits, cela ne concerne que certaines zones des agglomérations parisienne, lilloise et marseillaise. Mais le périmètre est défini par les préfets qui délivrent également les autorisations. Ce qui ne manque pas de créer des conflits avec certaines enseignes qui sont exclues des Puce car elles sont situées à quelques centaines de mètres. Idem concernant les zones dites touristiques. A Paris, les magasins des Champs-Elysées peuvent ouvrir le dimanche, mais pas ceux du boulevard Haussmann, à quelques centaines de mètres.
Pour faire comme nos voisins
Sur la question du travail dominicale aussi, la situation en Europe varie d'un pays à l'autre. Mais peu d'Etats ont des règles aussi difficiles à comprendre que les nôtres. Ainsi, en Grande Bretagne, le dimanche est un jour presque comme les autres depuis qu'une loi a autorisé, en 1994, l'ouverture des magasins. Seule contrainte pour les magasins dont la surface dépasse 280m², ils ne peuvent pas ouvrir plus de six heures. Idem en Italie ou au Portugal où la loi nationale offre une liberté quasiment totale. Les municipalités peuvent cependant demander d'élargir ou de rétrécir les horaires d'ouverture. Mais les opposants argumenteront avec l'exemple allemand. Outre-Rhin, 73% de la population est opposée à l'ouverture le dimanche. La règle, c'est bien la fermeture même si des dérogations sont données dix dimanche par an (contre cinq an France).
Repos dominical et laïcité ne font pas bon ménage
En 2008, Patrick Devedjian, alors secrétaire général de l'UMP avançait la laïcité pour prendre la défense du travail le dimanche. "Les chrétiens honorent le dimanche, les juifs le samedi, les musulmans le vendredi, si les bouddhistes s'y mettent, il ne va pas rester grand chose", avait-il lancé pour justifier la généralisation de l'ouverture des magasins. Mais les syndicats estiment que les religions n'ont rien à voir dans le choix du dimanche comme jour de repos hebdomadaire. Ils évoquent surtout le besoin de passer du temps en famille, notamment pour les loisirs.
C'est la loi de 1906 -votée quelques mois après celle de séparation de l'Eglise et de l'Etat- qui l'institue. "On réinvente le dimanche dans une perspective laïque. Le texte de 1906 repose sur deux valeurs nouvelles: le repos et la famille. Le pouvoir politique cherche à encadrer le temps libre des salariés: un dimanche avec leur femme au foyer doit les tenir à l'écart des bistrots et relancer la natalité", expliquait à L'Express, Robert Beck, auteur de Histoire du dimanche de 1700 à nos jours (ed. L'Atelier).