17 février 2014

Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations


L’empowerment expliqué par des femmes du Blanc-Mesnil
PAR CARINE FOUTEAU 
 mediapart - 2 MARS 2013


Un quartier pauvre de la banlieue parisienne raconté
par un “je” pluriel d’habitantes qui en ont assez
que d’autres parlent à leur place. Sorti en février
2013 en librairies, Femmes des quartiers populaires,
en résistance contre les discriminations, publié aux
éditions Le Temps des cerises, fait le pari de
l’intelligence collective et participative, à un moment
où le gouvernement, et notamment le ministre de
la ville François Lamy, découvre les vertus de
l’empowerment.
Pendant deux ans, une trentaine de femmes se
sont réunies, une fois par mois, dans la maison
des Tilleuls au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis.
Menés par Zouina Meddour, chargée de la lutte
contre les discriminations à la mairie, et Saïd
Bouamama, sociologue, les échanges ont abouti à ce livre énergique qui prend le contre-pied des
représentations dominantes dans lesquelles ne se retrouve pas l’immense majorité des résidents de ces
zones à l’abandon mais néanmoins vivantes.
Ce “je” qui parle est constitué de femmes issues
de l’immigration post-coloniale engagées dans la
vie de leur quartier. Les récits s’entrecroisent : la
narratrice est tantôt trentenaire, tantôt septuagénaire,
elle s’appelle Houria, Zohra, Zineb, Jamila, Fatiha, et
aussi Mylène, Martine et Mallory, elle noue un foulard
autour de sa tête un jour, n’en a jamais porté un autre,
elle est cette mère sans ressource élevant seule quatre
enfants, cette Algérienne jamais discriminée parce
qu’elle est blonde ou encore cette retraitée contrainte
d’apporter des preuves de son intégration malgré des
années de présence en France.
Ces femmes ont en commun une écriture sans fioriture
qui va droit au but. D’emblée, elles rejettent toute
forme de misérabilisme et fustigent les discours
infantilisants et paternalistes de ceux « qui voudraient
nous confiner au cadre du foyer familial ». Elles
regrettent que se développe « cette fausse image de
nous : des êtres faibles, victimes soumises, de niveau
scolaire peu élevé et en marge de la société ». Au
contraire, elles revendiquent « un rôle central » dans
l’espace public. « Nous luttons au jour le jour, au sein
de nos familles ou de nos quartiers et sommes actives
et engagées dans notre société », affirment-elles, sans
pour autant se rêver en mère-courage. Leur force est
d’être quotidiennes.
Cette présentation d’elles-mêmes vise à réfuter l’idée
répandue d’une dépolitisation des quartiers et de
femmes repliées sur leur intérieur. L’abstention
massive lors des élections n’est pas forcément le signe
d’un désintérêt ou d’un renoncement à la vie de la cité,
ni même de la désagrégation du lien social, mais plutôt
d’un décalage persistant entre deux univers sans point
de rencontre.
Tentative de réappropriation, ce livre témoigne d’une
volonté de comprendre le monde et d’agir pour le
transformer. Au-delà des descriptions, une analyse
s’élabore. Les auteures interrogent leur rôle de
mère, de chercheuse d’emploi, de candidate à un
logement, leurs relations avec l’école, la police, la
caisse d’allocations familiales, la sécurité sociale,
La Poste, les commerçants. Elles observent les
discriminations subies par leur entourage, par ellesmêmes
à l’occasion. Et en questionnent les causalités.
Doivent-elles se sentir coupables de ce qui leur
arrive, comme nombre de représentants politiques
ou d’experts les y incitent ? Sont-elles responsables
du traitement réservé à leurs enfants ? Qu’ont-elles
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mal fait ? Leurs origines sont-elles en cause ? Leur
“culture” peut-être ? Elles ne se laissent pas démonter
et inversent la problématique. Elles ne nient pas la
violence d’une partie des plus jeunes, l’échec scolaire
massif, les deals à leurs portes, les naufrages dans
l'alcoolisme de certains aînés. En 2005, lors des
émeutes urbaines, le gymnase a été incendié, en 2009,
un lycéen a été tué d’une balle dans la tête à la suite
d’une rixe, leur ligne de bus, la 148, est connue pour
ses incidents à répétition.
Mais elles montrent que ces difficultés sont la
conséquence et non la cause de la misère économique
et sociale dans laquelle elles sont plongées. Sans se
défausser sur l’État, sur les associations, sur les autres,
elles dénoncent l’inégalité structurelle pesant sur les
quartiers populaires, reprenant le constat de la Cour
des comptes qui, dans un rapport de juillet 2012,
révélait que les financements publics par habitant
restent plus faibles ici qu’ailleurs.
« On dirait qu’une guerre est passée par là »
Elles évoquent ainsi leurs conditions de vie, de survie
même, dans un contexte de restriction budgétaire mis
au compte de la crise. « Il faut sans cesse se débrouiller
pour avoir quelque chose dans l’assiette ou pour
habiller correctement les enfants. Noël, normalement,
c’est pour apporter du bonheur mais on n’y parvient
plus. Dès qu’on a payé les traites (assurance, loyer),
il ne reste plus rien sur le compte. Dans nos quartiers
il y a beaucoup de mamans isolées et pour elles
c’est la catastrophe. On se prive de tout pour que les
enfants aient le minimum. On ne peut quand même
pas toujours leur dire non », expliquent-elles. « On
dirait qu’une guerre est passée par là », ajoutent-elles
à propos de la physionomie de leurs rues.
Administrations publiques sur le départ, boutiques aux
rideaux baissés : « Ils ont muré les magasins vides pour
éviter la formation de squats. Ils ont réglé les choses
par des briques et du ciment sans se préoccuper des
conséquences pour nous. Franchement, quelle image
cela nous renvoie à nous et à nos enfants. On a
l’impression parfois d’être des pestiférés quand on
voit ces murs tous les jours. »
Aux guichets, elles se sentent mal traitées. À la Poste,
« on a dû se mobiliser pour l’agrandissement des
locaux et à l’ouverture ils ont réduit les horaires. Ils
ont diminué “l’amplitude horaire” comme ils disent.
Pourtant, nous ne sommes pas ignorants et bêtes.
Nous sommes obligés de comparer avec ce qui se
dit et se fait ailleurs. Pour Paris, par exemple, la
Poste mène une campagne de publicité sur la hausse
de l’amplitude horaire pour “s’adapter aux rythmes
et horaires des salariés”. C’est présenté comme la
preuve d’une poste qui respecte ses usagers. Et nous
alors n’est-on pas respectables ?»
Chez le médecin, elles ne trouvent pas non plus le
réconfort attendu : « Cela m’est arrivé récemment.
J’étais au bout du rouleau et le médecin m’a donné…
un jour d’arrêt de travail. En plus de ce que je vivais
déjà, je devais subir le fait qu’on me prenait pour une
menteuse. J’avais l’impression que pour ce médecin
on devait être plus résistant quand on était maghrébin.
À moins qu’il pense que derrière chaque Maghrébin
se cache un fraudeur. Nous sommes comme tous
les autres. Nous ne sommes ni des surhommes, ni
des superwoman. Ce sentiment d’être traité à part
est insupportable et très violent. C’est comme si le
Maghrébin ou le Noir n’avaient pas le même corps, la
même tête et les mêmes besoins que les autres. »
Des discriminations de « basse intensité » qui « minent
le moral » aux manifestations frontales de racisme
contre les Noirs, les Arabes ou les musulmans : le rejet
qu’elles ressentent est multiforme. Le voile cristallise
la désapprobation : « On veut nous dicter comment
nous habiller. Que je porte la minijupe ou le foulard ce
devrait être mon affaire personnelle. Moi, je ne porte
pas le foulard mais il faut qu’ils arrêtent de dire que
celles qui le portent, c’est sur la pression des pères
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ou des frères. Cette image est vraiment blessante pour
nous. C’est comme si on était passives et incapables
de nous défendre nous-mêmes. C’est encore l’image
de la femme soumise, c’est-à-dire un préjugé sur les
femmes arabes ou musulmanes. Il suffit de connaître
la vie quotidienne d’une famille arabe ou berbère ou
turque du Blanc-Mesnil. Nos filles ne se laissent pas
faire. Elles se défendent, elles ne sont pas soumises.
Elles ont un cerveau pour penser et une bouche pour
s’exprimer. »
Pour autant, insiste la narratrice plurielle, ce sombre
tableau ne coïncide pas avec la vision déshumanisée et
ensauvagée véhiculée par les médias. Les solidarités,
les liens sociaux, les discussions, les résistances
reviennent souvent dans les propos : « Heureusement
qu’il y a l’entraide mais même cela devient difficile.
Quand il manque quelque chose on tape chez la
voisine. On s’aide mutuellement avec un morceau de
beurre, une brique de lait, un oeuf ou autre chose.
L’autre fois une voisine frappe à la porte pour être
dépannée, je ne sais même plus de quoi. Ce qui m’a
surprise, c’est la réaction de mes gamines. Elles m’ont
dit: “Maman nous aussi on est pauvres, on ne peut pas
toujours aider les autres.” On continue à aider mais
c’est de plus en plus difficile. Pourtant l’entraide c’est
tout ce qu’il nous reste. C’est la richesse des pauvres.
»
Alors que tout flambait, en 2005, les mères du quartier
ont organisé une manifestation spontanée devant la
maison des Tilleuls. Les enfants étaient dans les
rues, mais elles ne voulaient pas rester inactives. Un
débat s’en est suivi. La salle était bondée. Mais les
élus, malgré les invitations, ne se sont pas déplacés.
« Il est erroné de dire que les classes populaires
ne s’intéressent pas à la politique. Nous pensons
au contraire que c’est la politique actuelle qui ne
s’intéresse pas à elles », avancent-elles rejetant l’idée
selon laquelle leurs quartiers seraient des déserts
politiques.
Ces femmes ne mendient rien. Cela ne les empêche
pas d’exiger davantage de considération de la part
des personnes supposées les représenter dans l’espace
démocratique. Pour que l’empowerment ne reste pas
un vain mot, elles demandent que le droit de vote
des étrangers aux élections locales devienne une
réalité. En tant que françaises, beaucoup ne sont pas
directement concernées, mais elles estiment que cette
réforme est une condition indispensable pour que les
quartiers populaires soient enfin entendus.
Directeur de la publication : Edwy Plenel
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