14 février 2014

Politique de la ville : ce que les élus et les professionnels attendent de la réforme


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Dix-huit mois après l’annonce d’une réforme de la politique de la ville destinée à « simplifier les zonages et concentrer les interventions publiques sur les territoires qui en ont le plus besoin », le projet de loi « ville et cohésion urbaine» a été adopté par les deux chambres. 
H. Jouanneau, H. Soutra | Publié le 13/02/2014

Amendé le 4 février en commission mixte paritaire, le texte a été définitivement voté [2] mercredi 12 février au Sénat et jeudi 13 à l’Assemblée nationale. Il devrait désormais être promulgué « avant les élections municipales » a promis le ministre délégué chargé de la Ville, François Lamy.
Objectif : que cette « nouvelle étape de la politique de la ville » puisse être mise en œuvre par les nouvelles équipes communales et intercommunales sur la totalité de leur mandat.
« Cohésion et solidarité » - L’enjeu est de taille. Comme l’ont révélé les derniers chiffres de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) publiés en décembre 2013 [3], la situation des banlieues demeure extrêmement alarmante : taux de pauvreté près de 3 fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire, taux de chômage 2,4 fois supérieur, illettrisme 2 fois plus important, accès restreint aux équipements de santé…

Comme l’a rappelé le ministre François Lamy devant les députés jeudi 13 février [4], l’ambition est bien d’opérer un véritable changement de dimension :
  • « car, dorénavant, c’est une action globale qui sera privilégiée » ;
  • « puisque le contrat de ville associera l’ensemble des parties prenantes au développement d’un territoire » ;
  • « enfin, car la politique de la ville ne s’appuiera plus seulement sur ses crédits spécifiques mais mobilisera l’ensemble des politiques de droit commun » ;
Autrement dit : cette réforme doit, selon lui, permettre de revenir « à l’essence de ce qu’est la politique de la ville : une politique de cohésion et de solidarité au service des territoires urbains les plus paupérisés. »
Mi-social mi-urbain - Un objectif politique qui, depuis le lancement de la concertation sur le projet de loi à l’automne 2012, séduit les professionnels, dont le sentiment d’abandon est vivace depuis plusieurs années.
Le premier motif de satisfaction de ces chefs de projet, chargés de mission ou directeurs territoriaux, dont le quotidien côtoie l’exclusion, est en effet d’avoir été écoutés et associés à la réforme. « Ils sont satisfaits de la reprise d’un certain nombre de leurs demandes » réagit d’emblée Sylvie Rebière-Pouyade, présidente de l’Inter-réseau des professionnels du développement social urbain [5].
A l’instar des autres associations de professionnels, l’IRDSU met l’accent sur les avancées entérinées par ce texte revenant sur cette discrimination positive territoriale.
« Nous accueillons assez positivement cette réforme, qui inscrit dans la loi des principes de base tels que la mobilisation des crédits de la plupart des ministères et des collectivités, la nécessité d’un contrat unique et d’une articulation de l’action économique, sociale et urbaine, la participation des habitants… » se réjouit égalementPatrice Allais, président du réseau Amadeus réunissant les cadres « politique de la ville » [6] des grandes villes et agglos.
L’intercommunalité sollicitée - Même écho du côté des élus, qui plébiscitent notamment la montée en puissance annoncée des intercommunalités dans le pilotage [7] de la politique de la ville. « Nous souhaitions cette avancée depuis longtemps », reconnaît Daniel Delaveau (PS), président de l’Assemblée des communautés de France et de Rennes métropole (43 communes, 413 900 hab.), « car il est devenu impossible d’agir sur la cohésion sociale et urbaine en intervenant à la seule échelle du quartier ».
« Il y a une vraie cohérence territoriale à ce que nous pilotions cette politique », analyse pour sa part Patrick Braouezec (ex-PCF), président de Plaine commune (9 communes, 408 000 hab., Seine-Saint-Denis), qui expérimente(1) [8] ce nouveau partenariat entre l’Etat et le bloc local depuis près d’un an.
Partage des rôles - Cette expérience l’amène à rassurer les maires, qu’il faut, selon lui, absolument associer en raison de leur contact avec les associations de proximité. Le partage des rôles effectifs entre municipalités et intercommunalités pourra être négocié localement [9] dans les nouveaux contrats de ville formalisant l’engagement des différents acteurs (élus, Etat, habitants, acteurs associatifs ou économiques, etc…).
Ceux-ci devront être signés d’ici à la fin 2014, voire début 2015 au plus tard pour les communes n’étant pas prêtes.
En tout état de cause, il faut aller vite : « nous pourrions passer notre vie à refaire des diagnostics toujours plus précis mais ceux ayant servi à l’élaboration des CUCS ou des SCOT feront l’affaire. Le contrat de ville ne doit pas être un programme d’actions figé sur 6 ans, mais un contrat-cadre que l’on pourrait modifier ou préciser par le biais d’avenants au fil notamment des propositions émises par les habitants » enjoint Patrice Allais.
Resserrement des priorités - Au-delà de l’instauration d’un contrat de ville unique et de la rénovation de la gouvernance, les inquiétudes se cristallisent autour de la nouvelle géographie prioritaire. [10]
Retenus sur la base d’un critère unique, à savoir la concentration de pauvreté (2) [11], les quartiers éligibles aux fonds du ministères de la ville devraient passer de 2 500 (Cucs, dont 751 ZUS) à 1 300 (QP) à compter du 1er janvier 2015.
Diminuer le nombre de territoires aidés : c’est là l’une des principales prouesses de François Lamy, qui peut s’enorgueillir – contrairement à c=ses prédécesseurs tels Fadela Amara, qui avait cédé face aux égoïsmes locaux – de faire voter une réforme jusque-là toujours retoquée.
La publication de la liste des communes concernées a été volontairement repoussée au printemps 2014 par le gouvernement, après la publication du décret d’application de la loi et surtout après les élections municipales. Mais, parmi les élus, qui ont déjà obtenu que le resserrement se fasse sur 1 300 quartiers et non 500 comme prévu initialement, l’appréhension reste grande. « Les communes sortantes ne sauraient être brutalement abandonnées dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat aux collectivités et de crise économique et sociale » a averti Martin Malvy (PS), président de l’Association des petites villes de France [12].
En complément du droit commun - Les moyens financiers dévolus à la réforme constituent une autre source d’inquiétude. Les ministères [13] et les associations d’élus [14], qui ont signé avec le ministère de la Ville des conventions d’objectifs ambitieuses mais assez peu engageantes pour flécher les crédits de droit commun dans ces quartiers en difficulté, joueront-ils le jeu ?
La réussite de la réforme en dépend, alors que l’argent public investi avait jusqu’ici coutume de diminuer dès lors que des quartiers devenaient éligibles aux faibles subventions du ministère de la Ville.
« La politique de la ville est une sorte de mutuelle, là où le droit commun correspondrait à la Sécurité sociale. Elle ne peut être qu’un complément du droit commun », insiste Renaud Gauquelin, président de Ville et banlieue. Dans un contexte de morosité budgétaire, la vigilance reste de mise.
François Lamy a d’ores et déjà été averti par Valérie Létard (UDI). « Si vous avez besoin du bloc communal dans la mise en oeuvre de votre politique, nous avons besoin du soutien financier et stratégique de l’Europe, de l’Etat, des régions et des départements », lui a signifié la vice-présidente de l’Association des maires de France.
Révolution culturelle - A l’image de nombre d’acteurs locaux, la sénatrice et présidente de Valenciennes Métropole doute de la révolution culturelle attendue de la part d’institutions et de collectivités ne connaissant pas la politique de la Ville. « Maintenant que les grands principes ont été actés, il faut désormais passer à l’acte. Or, on ne voit pas trop les garde-fous qui permettront que cela soit suivi d’effets : quelle est la capacité de l’Etat local et des collectivités à obtenir les fonds prévus par la mobilisation du droit commun, et à les territorialiser vers les quartiers populaires ? » s’inquiète Patrice Allais.
Sans les contributions de ces collectivités et ministères devant en théorie intervenir avant celles spécifiques à la politique de la ville dont la fonction première consiste à servir de levier, la concentration des seuls crédits (à moyens constants du ministère de la Ville permise sur les 1 300 nouveaux quartiers prioritaires conserverait une saveur amère.
En outre, le droit commun doit également alimenter les territoires sortants de cette géographie prioritaire, « qui ne deviendront pas automatiquement des quartiers riches » prévient le président de l’association Amadeus. « Les remontées de terrain font état d’une nécessaire continuité dans le financement d’actions spécifiques, comme la réussite éducative ou la prévention de la délinquance. »

Les principaux points du projet de loi

  • Contrat unique et intercos : remplacement des contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) par des contrats de ville. Alliant le développement social urbain et la rénovation urbaine, ces contrats-cadres adossés aux intercommunalités, engageront l’Etat et le bloc local sur six ans.
  • Géographie prioritaire : suppression des 751 zones urbaines sensibles et 2 492 quartiers « Cucs », concentration des crédits de la politique de la ville sur 1 300 quartiers prioritaires. La liste des bénéficiaires devrait être dévoilée au cours du mois d’avril 2014.
  • Renouvellement urbain : un nouveau Programme national de renouvellement urbain (PNRU 2)[15] concernera 230 agglomérations abritant des quartiers populaires. Leurs noms devraient être connus en septembre prochain.
  • Dotation : jusqu’ici versée aux communes, la dotation de développement urbain (DDU) devrait être remplacée en 2015 par une dotation spécifique pour la politique de la ville, versée aux intercos abritant des quartiers prioritaires.
  • Habitants : création de « conseils citoyens ». Tirés au sort, indépendants des élus, formés, dotés de moyens spécifiques, ils se prononceront sur les projets urbains comme sociaux. Cela doit permettre de traduire l’objectif de replacer les habitants au cœur de l’action publique.

CHIFFRES CLES

  • 5 milliards d'€uros seront alloués par le gouvernement au Programme national de renouvellement urbain (PNRU 2), issus principalement des fonds d’Action logement. Cet apport initial devrait générer 20 Md€ d’investissements des collectivités, bailleurs sociauxet partenaires privés, qui devraient être davantage sollicités que sur le premier plan. C’est ce qu’a déclaré le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 31 janvier.

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