26 janvier 2015

Où vivent les pauvres ? L’Insee infirme définitivement la thèse de la France périphérique

L’institut permet de quantifier ce qui relevait de l’évidence pour de nombreux observateurs :
les plus démunis vivent dans les communes les plus peuplées, là aussi où habitent les plus riches, et où les inégalités de revenus sont les plus grandes. 
Le tiers qui reste vit pour 17 % dans les communes périurbaines
pour 13,4 % dans les petites et moyennes agglomérations ou leurs communes proches (2) et 5,4 % dans les communes rurales isolées. La France périurbaine et rural ne regroupe qu’une minorité de personnes pauvres.

Nous avions montré à partir des données de l’Insee que 57 % des pauvres vivaient dans des communes de plus de 50 000 habitants et 21 % dans des communes rurales. Une partie de ces communes sont des territoires périurbains, parfois très proches des grandes villes.
Par ailleurs, une étude publiée fin 2014 indiquait que les revenus des 10 % les plus pauvres étaient plus de deux fois moins élevés dans les villes-centres que dans leur couronne périurbaine (4 400 contre 9 900 euros par an pour une personne).

Meilleure compréhension des zones de pauvreté - Ces nouvelles données offrent un nouveau découpage géographique du territoire, qui permet de lire encore plus finement la situation sociale du pays.
Les communes ne sont plus seulement réparties en fonction de leur taille ou de leur statut rural/urbain, comme c’était le cas auparavant, mais entre des aires urbaines composées de pôles et de couronnes périurbaines (en fonction de leur taille), ainsi que des communes rurales isolées (lire nos définitions). Cette distinction est importante : le rural périurbain n’a pas grand chose à voir avec le rural isolé.

L’importance de la pauvreté urbaine permet de situer les difficultés là où elles sont le plus. La pauvreté rurale des plus âgés existe, mais en quantité reste minime comparée à celle des jeunes qui vivent au bord des périphériques des grandes villes. La question est désormais d’aller plus loin. D’une part, en complétant ces éléments par d’autres, comme le chômage, la précarité ou les catégories sociales, ce qui permet de multiplier les éclairages.
Ainsi, la définition des contours de la politique de la ville par le seul critère monétaire pose de nombreux problèmes (3).
Le seul revenu résume mal les difficultés sociales, il rassemble par exemple des personnes âgées sans loyer à payer et des jeunes dont les besoins ne sont pas  équivalents. D’autre part, en allant mesurer les revenus de façon encore plus fine. L’essentiel se joue au sein des grandes villes du fait de la densité de population. D’ici la fin de l’année, l’Insee devrait publier des données sur les niveaux de vie (après impôts et prestations sociales) quartier par quartier : l’analyse des territoires devrait alors faire un bond en avant.

  Article initialement publié sur le site du Centre d’Observation de la société

Note 01 - Selon le découpage dit « zones en aires urbaines », plus précisément. Une aire comprend un pôle (ville centre et banlieue) et sa couronne périurbaine. Les aires sont définies en fonction du nombre d’emplois qu’elles regroupent, plus de 10 000 emplois pour une grande aire. - Retourner au texte
Note 02 - Ces dernières communes n'ont pas le statut de "périurbaines", mais leur habitat peut en être proche. Certaines sont rurales, d'autres urbaines. - Retourner au texte
Note 03 - Voir "Politique de la ville, la pauvreté en concentré", Observatoire des inégalités, 17 juin 2014. - Retourner au texte

Rythmes scolaires : élus et techniciens mécontents de voir le fonds de soutien lié au PEDT

Publiée le 1er janvier 2015, la nouvelle circulaire sur le projet éducatif territorial complète l’article 96 de la loi de finances, pérennisant le fonds de soutien aux collectivités. Désormais, les deux sont liés. Un mécanisme qui déplaît fortement aux communes. Dorénavant, toute commune désirant bénéficier du fonds de soutien, pérennisé par l’article 96 de la loi de finances, devra s’acquitter d’un projet éducatif territorial (PEDT). Environ 15 000 communes seraient concernées pour la rentrée 2015. 

24 janvier 2015

1944-2014 | 70 années d'habitat public en France

Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel
indispensable pour comprendre comment se sont fabriqués nos logements et nos villes d'aujourd'hui


ci-dessous l'intro de cette brochure de 250 pages (avec beaucoup d'images ! ça se lit facilement…) :

70 années de politique de l’habitat depuis le premier Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme créé en 1944, ont fabriqué un système de pénurie permanente, un processus de reproduction des inégalités et de relégation spatiales dont les conséquences en 2014 irradient maints autres domaines de la société : crise exceptionnelle du logement touchant 10 millions de français, reléguant 3,5 millions de français dans des conditions de pénibilité résidentielle, 700.000 sans abri et très mal-logés dans les «zones grises» du logement (ces chiffres proviennent du rapport mal-logement 2014 de la Fondation Abbé Pierre), saturation des Centres d’hébergement et d’urgence, réapparition sous diverses formes de l’habitat précaire et de micro-bidonvilles, précarité énergétique, crise latente des quartiers dits «sensibles» irrésolue depuis 1981,

23 janvier 2015

Renaud Epstein : «On n’a jamais vraiment cherché à lutter contre les discriminations»


Pour le sociologue, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nantes, utiliser le mot apartheid pour décrire l’état des banlieues « n’a aucun sens ».




Le mot apartheid qu’a utilisé Manuel Valls pour décrire l’état des banlieues est-il juste ?

Cela n’a aucun sens. L’apartheid est un régime politique, un système de racisme institutionnalisé inscrit dans le droit. Il n’y a rien de tel en France, où les discriminations sont de fait et non de droit. Même si d’autres l’ont fait avant lui, je suis extrêmement choqué d’entendre ce mot prononcé par celui qui, à la tête du ministère de l’Intérieur, avait réussi à faire capoter la seule mesure antidiscrimination proposée par le candidat François Hollande. Je parle des récépissés pour lutter contre les contrôles au faciès.
Pour votre part, quel constat faites-vous ?
Tout d’abord que le débat sur les quartiers populaires s’engage de la pire des manières, en partant de la dérive mortifère de trois individus. L’amalgame est d’autant plus absurde que les frères Kouachi ont passé leur adolescence en Corrèze ! S’agissant de la politique de la ville, toutes les données disponibles indiquent que l’objectif de mixité sociale qui lui est assigné depuis les années 1990, et plus nettement encore depuis 2003, n’a pas été atteint.
La spécialisation sociale et ethno-raciale des quartiers n’a cessé de se renforcer. Mais cette dynamique nationale s’accompagne de fortes variations en fonction des villes et des quartiers.
A Paris et dans certaines communes limitrophes, on assiste à des processus de gentrification qui contribuent à la mixité sociale recherchée, mais au prix de l’éviction des pauvres.
Plus encore, la question de la mixité ne devrait pas être posée à partir des cités, qui regroupent des populations d’origines et de conditions très diverses, mais des quartiers riches. Les vrais ghettos, ceux où on ne fait pas l’expérience de l’altérité, sont les quartiers riches.
Enfin, il faut rappeler que les vertus de la mixité sociale sont loin d’être établies scientifiquement, sauf à l’école où c’est un enjeu fort.

L’école a-t-elle échoué ?

Il n’y a pas faillite de l’école, mais de la société dans son ensemble. Nous sommes tous collectivement responsables. Qui ne cherche pas à scolariser ses enfants dans le meilleur établissement ? Nos comportements individuels produisent des situations que nous dénonçons ensuite collectivement dans la rue…

L’école a-t-elle assez compté dans la politique de la ville ?

L’Education nationale a toujours eu un comportement extrêmement protectionniste vis-à-vis de la politique de la ville. Elle a développé ses programmes d’éducation prioritaire à l’écart de cette politique portée par les autres acteurs, mairies, ministère de la Ville.

Qu’est-ce qui n’a pas encore été tenté ?

La France n’a toujours pas engagé de réelle politique de lutte contre les discriminations. Le faire supposerait qu’on se dote d’instruments spécifiques, comme les statistiques ethniques. 
En les refusant, on s’oblige à faire un détour territorial très grossier, en ciblant les quartiers de minorités. 
L’autre option qui mérite d’être approfondie est celle de l’empowerment, qui n’a été que timidement envisagée au début des années 1980. Il s’agit de s’appuyer sur la mobilisation des forces vives et des communautés des quartiers pour définir et mettre en œuvre des solutions qui ne relèvent pas que de l’assistanat. 
Jusqu’à présent, on a fait l’inverse, en cassant les mobilisations collectives des quartiers populaires toujours suspectées de communautarisme.






«Apartheid», terme-choc qui questionne les ségrégations de la banlieue

AFP

Peut-on parler d'«apartheid» dans les banlieues françaises? Au-delà de la polémique, les déclarations choc de Manuel Valls illustrent la ségrégation ressentie dans des quartiers qui se sentent les grands oubliés de la République.
A Bobigny (Seine-Saint-Denis) ce mercredi, beaucoup des passants ne sont même pas au courant des propos du Premier ministre. Mohamed, 32 ans, d’origine marocaine, s’emporte pourtant: «On a jeté les immigrés dans les cités comme si c’était une cage dans un zoo. Il y a moins de réussite scolaire ici, pas de travail... et une discrimination raciale.»
Le Premier ministre avait soulevé une vive polémique en parlant mardi d’un «apartheid territorial, social, ethnique» dans les banlieues.
Un terme qui ne fait pas l’unanimité: «Ces mots parlent plus aux tripes qu’à la raison, et ne favorisent pas une analyse posée», regrette Renaud Epstein, maître de conférence en sciences politiques à l’université de Nantes, qui réfute aussi le terme de «ghetto».
L’apartheid est un régime «dans lequel l’ensemble des lois et des politiques publiques sont régies par des principes de séparation définis sur des bases raciales. Ce n’est évidemment pas le cas» en France, note-t-il.
Avec un bémol: «On constate des pratiques discriminatoires du côté de certaines administrations, notamment dans la police», affirme-t-il, en donnant l’exemple des contrôles au faciès. «Ces discriminations ne sont pas inscrites dans le droit, mais dans les faits.»
Le dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) soulignait déjà les difficultés sociales dans ces quartiers: pauvreté trois fois plus élevée qu’ailleurs, illettrisme quatre fois plus important (12% en 2012), chômage à 24%...
- Préparer la ségrégation -
Lors de leurs recherche d’emploi, les jeunes des Zus disent cumuler plusieurs handicaps: rareté des offres (66%), manque d’expérience (58%), manque de réseaux professionnels (36%) et difficultés liées au lieu de résidence (9%).
Didier Lapeyronnie, prof de sociologie à La Sorbonne, n’hésite pas à parler de «ghettos». «Évidemment on n’est pas dans un régime d’apartheid, mais dans une société dans laquelle il y a une très forte ségrégation raciale, plus forte qu’on ne le pense», estime-t-il.
Et si le terme d’apartheid suppose une intervention des institutions pour créer cette ségrégation, «ce n’est pas totalement faux non plus», affirme-t-il, en pointant «les mécanismes qui continuent de préparer la ségrégation», notamment au niveau de l’école ou de la police.
Pour lui, le problème va plus loin: «On s’est rendu compte» lors de la minute de silence «qu’une partie de la population, notamment dans le domaine scolaire, n’était pas simplement victime de discrimination, mais avait le sentiment de ne pas appartenir à la même société».
Face à cette dichotomie, la politique de la ville semble à beaucoup sous-dimensionnée. Le deuxième volet de la rénovation urbaine vient d’être lancé avec 5 milliards d’euros de dotation sur dix ans, soit moitié moins que le premier plan. A cela s’ajoute la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales (3,7 milliards d’euros en moins cette année) dont les associations de terrain craignent de faire les frais.
«Nous sommes aujourd’hui à un tournant décisif. Soit on continue à exclure, mettre à l’écart de la République, soit on décide d’un sursaut général», avertit Stéphane Troussel, président (PS) du Conseil général de Seine-Saint-Denis.
La tâche est immense, et suppose une action assumée. Pour Renaud Epstein, l’un des problèmes est que les politiques actuels sont «dans l’incapacité d’affronter frontalement les enjeux des discriminations qui sont intenses dans les banlieues», notamment parce qu’il y a une «grande peur d’être accusés d’en faire trop pour les quartiers, pour les Noirs et les Arabes».
Mais «on ne peut pas comprendre le problème en se focalisant sur les banlieues», car c’est aussi «à partir des beaux quartiers que se mettent en place les phénomènes de ségrégation, en repoussant les plus pauvres toujours plus loin».




« En finir avec les banlieues ? », sous la direction de Thomas Kirszbaum, éditions de l’Aube, janvier 2015

« En finir avec les banlieues ? », un ouvrage collectif sous la direction de Thomas Kirszbaum
Parler de la «  crise  » des banlieues suggère que nous ferions face à un problème provisoire dont il serait possible de venir à bout par un traitement adapté. Pourtant la leçon des historiens est claire : les banlieues sont depuis toujours aux marges de la ville, mais au cœur d’une question sociale, urbaine et politique en perpétuelle recomposition. Ce livre mêle des réflexions de jeunes chercheurs novateurs et de personnalités incontournables sur la question des banlieues. Dans une perspective à la fois historique et comparative avec d’autres pays européens, il essaie de faire évoluer un débat bloqué depuis trop longtemps. Car la croyance française d’une crise passagère alimente une constante désillusion sur l’efficacité de la politique de la ville.
Présentation sur le site des éditions de l’Aube