A Calais (Pas-de-Calais, 72 600 habitants), la pratique du sport ne se limite pas aux entraînements en semaine et aux matchs le week-end. L’activité physique est aussi et surtout un outil éducatif, résultat d’une politique exemplaire lancée en 2010. A l’époque, l’éducation par le sport est, pour beaucoup, une jolie expression, abstraite et difficilement convertible en principe concret. Sauf pour Natacha Bouchart, élue (UMP) à la tête de la ville deux ans auparavant.
Elle est alors plus que jamais décidée à se lancer dans une expérimentation visant à utiliser le sport à des fins éducatives, notamment auprès de décrocheurs scolaires. Un travail qui passerait par la création de postes d’éducateurs puis par la décision d’aller chercher chez eux, les jeunes en manque de repères, avant de les « remettre en mouvement » par une pratique structurée. Autant de montagnes au pays des terrils…
Expérimentation devenue politique publique - Quatre ans après qu’en est-il ? Le résultat apparaît si bluffant qu’il n’est plus question d’expérimentation mais d’une véritable politique intégrée dans le paysage local. « C’est une vraie réussite qui tient surtout à la volonté des élus qui ont porté le projet », explique Guillaume Duchateau, directeur du département « jeunesse et sports » de la ville de Calais.
L’expérimentation a bénéficié du soutien de l’Agence pour l’éducation par le sport (Apels) qui a coordonné, entre 2010 et 2013, un travail unique centré sur le rôle social et éducatif du sport. Celui-ci a été conduit dans neuf villes. Outre Calais, étaient également concernées Aubervilliers et Sevran (Seine-Saint-Denis), Bezons et Sarcelles (Val-d’Oise), Boulazac (Dordogne), Courcouronnes (Essonne), Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et Laxou (Meurthe-et-Moselle).
Personnel qualifié - A Calais, l’une des toutes premières actions a été de recruter du « personnel qualifié », selon Guillaume Duchateau, c’est-à-dire des éducateurs sportifs, titulaires d’un diplôme bac + 3 ou bac + 4 en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et détenteurs d’un brevet d’Etat.
Dans un premier temps, deux sont arrivés pour faire découvrir aux jeunes de trois quartiers prioritaires (Beau-Marais, Fort-Nieulay et Saint-Pierre) un maximum d’activités sportives. D’une manière générale, l’expérimentation calaisienne a été construite autour de 3 axes : les « créneaux du soir », les interventions avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et la plateforme de décrochage scolaire.
Du « pied des immeubles » aux « équipements sportifs de proximité » - Avec les « créneaux du soir », l’objectif était de mobiliser les jeunes (12-18 ans) en soirée et le week-end. La cible ? « Ceux qui ne faisaient rien, restaient au pied des immeubles », explique le directeur du département Jeunesse et sports.
« Il s’agit d’une population réfractaire à la compétition et pour laquelle l’entraînement semble rébarbatif. Nous allions les chercher en minibus pour leur proposer le plus d’activités possible (escalade, boxe française, karaté, tennis de table, fitness, sports collectifs…) dans des équipements à proximité ».
Précisément, la salle Gauguin-Matisse et la salle Nelson-Mandela, construites spécifiquement pour ces jeunes. Ce qui a, par ailleurs, entraîné quelques grincements de dents dans les clubs alentours.
Observateur attentif et conseiller avisé de l’opération, Benjamin Coignet, directeur technique de l’Apels, a « effectivement constaté que le tissu associatif existant a pu se sentir parfois un peu loin de ce que la ville réalisait. Mais à force de dialogue et d’explications, les éléments se sont mis en place ». Une coopération a ainsi été trouvée avec 5 clubs calaisiens qui ont intégré 25 jeunes. Un petit nombre (4) a même fini par signer une licence.
Jeunes délinquants – Les éducateurs de la ville sont aussi intervenus auprès de jeunes suivis par la PJJ. « Nous leur proposions des sessions de sport collectif et/ou de musculation en semaine, en petit comité », poursuit Guillaume Duchateau. Le troisième axe de travail a concerné le décrochage scolaire. Avec une question de départ : « Comment remettre ces jeunes que nous avions identifiés, sur le chemin », relate Guillaume Duchateau.
A bord de leur minibus, les éducateurs ont entamé un long travail pour convaincre ces adolescents de monter à bord. « Progressivement, certains ont commencé à venir, à respecter des horaires, un mode de fonctionnement, à mettre une tenue de sport », poursuit Guillaume Duchateau.
En parallèle, des ateliers d’art-thérapie ont été créés pour celles et ceux qui n’étaient pas attirés par le sport.
Pour quels résultats ? Au fil du temps, la fréquentation n’a cessé d’augmenter si bien que sur l’ensemble des 3 axes de travail, elle est passée de 50 jeunes la première année à… 1 200 actuellement ! Quant à l’effectif des éducateurs, il a bondi de 2 à 8 temps plein, sans oublier 9 vacataires qui interviennent sur des activités spécifiques comme la boxe française ou le karaté.
Implication des élus – Mais, comme le souligne Guillaume Duchateau, « il est très difficile de quantifier notre travail. Si l’on prend le décrochage scolaire, une quinzaine de jeunes qui ont participé à nos séances ont, à ce jour, réintégré un parcours de formation en alternance ou obtenu un contrat. Certes, c’est peu. Mais il convient d’avoir à l’esprit que ces adolescents étaient parmi les plus éloignés du système. En soi, c’est une réussite ».
Benjamin Coignet acquiesce : « Au fil du temps, les élus et techniciens calaisiens ont mis en place un maillage de relations d’une force incroyable. Ce dispositif est vraiment très innovant. »
Mais de l’avis de tous les acteurs, la grande réussite de cette expérimentation réside surtout dans la volonté des élus.
« L’autorité politique s’est saisie de la question, précise le représentant de l’Apels. La maire a porté le projet à titre personnel et cela fait une vraie différence ». Sans compter qu’« il est très fort de constituer des équipes dédiées à l’éducation par le sport ».
Titularisation – C’est ce qui peut effrayer certains édiles tentés de reproduire l’expérimentation calaisienne. « On nous dit souvent “8 éducateurs, impossible pour nous” », reprend Guillaume Duchateau, qui avance un budget annuel de 360 000 euros. « A la limite, il est plus simple, comme ce fut le cas pour nous, de partir de zéro que de réaffecter vers les quartiers des techniciens en place ailleurs depuis plusieurs années. »
Aujourd’hui, la belle histoire continue. Pour preuve, les éducateurs en question sont sur le point d’être titularisés. Et « ce n’est pas pour les mettre sur d’autres postes avec d’autres objectifs », promet le responsable du département « jeunesse et sports ».
Services des sports : un mode de fonctionnement dépassé ?
Le reproche principal concerne leur mode de fonctionnement centré sur la gestion des équipements et des subventions. Un modèle que Benjamin Coignet, directeur technique de l’Apels, qualifie d’« archaïque ».
Construits dans un système sportif fédéral dirigé vers les clubs, ces services ne répondraient plus aux demandes de populations qui envisagent différemment le sport, hors compétition par exemple.
L’Apels propose ainsi d’appeler ces structures « les services d’éducation et d’innovation sociale par le sport ». L’idée est lancée mais « cela risque d’être très long », prédit Benjamin Coignet.