Le Figaro et Manuel Valls s’opposent sur l’explosion supposée des chiffres de la délinquance
Par H. Soutra 10/09/2013
Les statistiques de la délinquance font de nouveau jaser, après avoir été mardi 10 septembre le sujet d’une passe d’armes véhémente entre le journal Le Figaro et le ministère de l’Intérieur. Le quotidien conservateur maintient ses informations, selon lesquelles les violences contre les personnes et les atteintes aux biens seraient en augmentation, malgré le démenti immédiat de la Place Beauvau après la publication de leur dossier. Décryptage du Club Prévention-Sécurité de la Gazette des communes.
Les échéances municipales approchant à grands pas, les polémiques sur la sécurité et notamment « l’explosion » réelle ou supposée des chiffres de la délinquance devraient se multiplier à l’avenir.
Après avoir déjà dénoncé à deux reprises le bilan du ministre de l’Intérieur à la fin de l’hiver dernier, l’édition du Figaro du mardi 10 septembre revient une nouvelle fois à la charge : le quotidien conservateur – propriété du sénateur (UMP) Serge Dassault – affirme, sur la base d’un « tableau de bord d’une centaine de pages de chiffres et de cartes en couleur » circulant seulement en interne Place Beauvau, que « la violence augmente presque partout, les patrouilles sont moins nombreuses et le taux d’élucidation diminue. »
L’Intérieur répond du tac au tac - En guise d’argumentation, l’article égraine alors l’évolution des crimes et délits en France sur un an, comparant la période (électorale) courant d’août 2011 à juillet 2012 et la «période qui démarre quand la gauche assume pleinement la conduite des affaires », c’est-à-dire celle allant d’août 2012 à juillet 2013 : hausse des atteintes à l’intégrité physique (+2,9%), des atteintes aux biens (+3,5%), de la grande criminalité (+5,2%) ainsi que des infractions économiques et financières (+5,9%), etc…
Concernant ces données qui ne sont en rien confidentielles (1), la réponse du ministère de l’Intérieur ne tarde pas. Un communiqué a été envoyé aux rédactions peu avant 6h du matin, regrettant la méconnaissance par le Figaro des « avertissements et des règles méthodologiques rappelées par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). »
Compilation et comparaison biaisées - En effet, Le Figaro n’a pas daigné suivre les mises en garde contre « les ruptures statistiques liées à modernisation des logiciels d’enregistrement de plaintes », qui, depuis novembre 2012, pousse cet organisme indépendant à publier de manière séparée les statistiques de la police et de la gendarmerie: la hausse essentiellement artificielle des chiffres de la gendarmerie depuis la mise en place du logiciel Pulsaren janvier 2012, puis celle à prévoir des données Police lorsque lelogiciel de rédaction de procédures de la police nationale (LRPPN)aura été généralisé d’ici fin 2013 à l’ensemble des commissariats, biaisent toute comparaison avec les chiffres antérieurs.
Ce qui pose manifestement problème sur les atteintes à l’intégrité physique, qui auraient donc augmenté de 2,9% – chiffres de la police et de la gendarmerie confondus – selon la lecture du Figaro: en scrutant dans le détail ces chiffres pour partie disponibles dans le bulletin mensuel de juillet 2013 publié sur le site de l’ONDRP, l’on s’aperçoit que les violences étaient en réalité plutôt stables chez les policiers (où elles ont augmenté de 0,1%), quand les gendarmes enregistraient de leur côté une hausse de 12,9% des faits…
Le Figaro persiste et signe - Dans un nouvel article publié en fin de matinée, le Figaro affirme pourtant « maintenir ses informations […] Excepté pour les violences hors vol (2) en zone police, qu’ils soient séparés ou réunis, les chiffres indiquent les mêmes tendances. »
Ne disposant toutefois pas des statistiques exhaustives comme cela semble être le cas du Figaro, le Club Prévention-Sécurité n’est pas en mesure de valider ou d’infirmer ces dires concernant les atteintes aux biens, la grande criminalité ou les infractions économiques et financières. Pour sa part, le communiqué du ministère de l’Intérieur les invalide sur la base d’un rapport établi par quatre services d’inspection qu’omet de citer le quotidien de droite, pointant la « dissimulation massive » des faits de délinquance et les errements de la « politique du chiffre » depuis 2006.
Outre le fait que le journaliste du Figaro ne fait pas état de la baisse des atteintes à la tranquillité publique (-3,5%), des outrages à dépositaires de l’autorité publique (-5,6%) ou des feux de poubelles (-11,5%), son honnêteté intellectuelle peut également être mise en doute lorsqu’il annonce les évolutions d’agrégats globaux sans s’intéresser aux sous-rubriques ni aux variations en volume (3) ou lorsque, au contraire, il évacue les tendances globales pour ne s’intéresser qu’aux sous-éléments croissants (4)
Baisse… ou hausse de la prévention ? - Pire encore, quand Le Figaro s’étonne de la diminution des « missions opérationnelles » (-10,2% en gendarmerie et -2,2% en police) dont celle des missions de patrouille (-3,4% chez les gendarmes et -6% chez les policiers), malgré la baisse des « tâches indues » (-10% côté gendarmerie et -7,8% côté police) – telles que le transfèrement de détenus ou les procurations de vote – qui les détournent régulièrement de leur cœur de métier et celle des actions de prévention (-3,3% chez les gendarmes et -6,1% chez les policiers) dont « on aurait pu imaginer [qu’elles allaient] croître sous la gauche. »
Or, selon un article bien documenté du Monde, le journaliste se serait… tout simplement trompé de données : les missions sur le terrain auraient diminué de -1,2% chez les gendarmes et non de 10,2%, tandis que la prévention n’aurait pas diminué mais augmenté de 7,9% chez les gendarmes et de 10,7% chez les policiers.
Or, selon un article bien documenté du Monde, le journaliste se serait… tout simplement trompé de données : les missions sur le terrain auraient diminué de -1,2% chez les gendarmes et non de 10,2%, tandis que la prévention n’aurait pas diminué mais augmenté de 7,9% chez les gendarmes et de 10,7% chez les policiers.
Renforts: que de la comm’ ? - De leur côté, les services de la Place Beauvau font valoir que la baisse du potentiel horaire (liée aux effectifs) est imputable au précédent gouvernement, du fait de « la diminution des effectifs causée par la Révision générale des politiques publiques conduite de 2009 à fin 2012 […] Ce n’est qu’à l’issue de leur formation d’un an, à partir du 1er décembre prochain, que l’arrêt de l’hémorragie des effectifs et le recrutement de plus de 2000 policiers en 2013 produira ses effets opérationnels.»
Un argument qui ne convainc toujours pas Le Figaro, qui s’en prend dès lors au plan de communication du ministère de l’Intérieur, qui « révèle dans son communiqué que les effectifs promis depuis des semaines, au fil des homicides et des braquages à Marseille ou ailleurs, n’arriveront finalement que bien tard. »
Qui des Dom-Tom ? - Seul élément objectivement viable sur lequel Le Figaro attaque Manuel Valls et auquel la réponse point par point de l’Intérieur ne répond d’ailleurs pas : la non-diffusion des évolutions de la délinquance dans les Dom-Tom. « Si le ministre de l’Intérieur voulait vraiment être complet, il faudrait qu’il fasse ajouter à son tableau de bord les départements d’Outre-Mer, où la situation, il est vrai, se dégrade dangereusement » conclue-t-il, faisant notamment référence à la situation en Guyane ou enGuadeloupe.
Cette nouvelle instrumentalisation, loin d’être la première et qui ne sera probablement pas la dernière au cours des mois à venir, témoigne de la complexité de manier ces « chiffres de la délinquance » ne reflétant que partiellement la délinquance réellement commise. D’autant plus dans la période actuelle de changements structurels de la production de ces dits-chiffres.
Pourtant, les manipulations politiques et médiatiques à répétition dont ces statistiques sont l’objet peuvent avoir de graves conséquences (autocensure de commissaires subissant des pressions politiques pour piloter « habilement » les indicateurs statistiques, disposition des victimes à porter plainte ou non, etc…) sur la qualité de service public, la résolution des problèmes d’insécurité et donc la vie courante des citoyens…
Pourtant, les manipulations politiques et médiatiques à répétition dont ces statistiques sont l’objet peuvent avoir de graves conséquences (autocensure de commissaires subissant des pressions politiques pour piloter « habilement » les indicateurs statistiques, disposition des victimes à porter plainte ou non, etc…) sur la qualité de service public, la résolution des problèmes d’insécurité et donc la vie courante des citoyens…
Note 01:
les chiffres de la délinquance, sur lesquels se basent le constat alarmant du Figaro, sont dans leur grande majorité disponibles en ligne dans le bulletin mensuel de l'ONDRP. Contrairement aux statistiques concernant l'activité opérationnelle des services ou le taux d'élucidation, publiés à la fin de leur article, qui eux revêtent un caractère confidentiel - Retourner au texte
Note 02:
autre dénomination de "violences physiques non crapuleuses", elle-même sous-catégorie d'atteintes volontaires à l'intégrité physique -Retourner au texte
Note 03:
ainsi, si la « grande criminalité » augmenterait effectivement de 5,2% (soit +860 faits sur 16 581) entre 2012 et 2013, cette hausse s’explique davantage par le bond de 10,2% (+561 faits) des trafics et reventes de stupéfiants que celui des règlements de comptes (+10% également… mais 6 faits supplémentaires seulement). Qui plus est, l’évolution des infractions constatées liées aux stupéfiants (qui sont révélées par l’action des services) mesure davantage l’efficacité des forces de l’ordre qu’une supposée insécurité liée à l'augmentation de la consommation… - Retourner au texte
Note 04:
considérant qu’elles ont été « noyées » dans un agrégat insignifiant, Le Figaro omet de donner l’évolution globale – qu’elle soit positive ou négative – des « infractions à la réglementation » et se concentre sur la chute vertigineuse des seules infractions aux conditions d’entrée et de séjour (-56,8%). - Retourner au texte
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