Un partenariat public-privé (PPP) non justifié par la complexité du projet et une procédure émaillée d’erreurs ou d’omissions. Le rapport d’observations définitives adressé le 11 décembre 2014 par les magistrats financiers à la commune de Nogent-sur-Seine illustre les difficultés des collectivités territoriales à appréhender ce type de contrat. Un point de vue que ne partage pas le maire de l’époque.
La sculptrice Camille Claudel a passé une partie de son adolescence à Nogent-sur-Seine, où elle a réalisé ses premiers travaux. Cette petite ville de l’Aube 6 200 habitants possède aujourd’hui la collection la plus importante au monde d’œuvres de l’artiste. Un fonds que la commune a souhaité mettre en valeur dans un écrin digne du talent et de la notoriété de Camile Claudel, espérant des retombées économiques et touristiques. Elle a pour cela entrepris de créer un nouveau musée – incluant la maison familiale des Claudel – qui sera inauguré à l’automne 2015.
La ville a eu recours à un contrat de partenariat public-privé signé le 8 mars 2012 avec la société d’ingénierie SNC-Lavalin en Europe, à l’issue d’une procédure de dialogue compétitif mettant aux prises deux candidats. Ce contrat porte sur la conception, le financement, la construction, l’exploitation, la maintenance et l’entretien du musée. Sa durée est de 27 années, pour un montant prévisionnel de près de 18 millions d’euros HT.
Le PPP de Nogent-sur-Seine fait partie des vingt-neuf contrats de partenariat passés au crible par les chambres régionales des comptes pour les besoins d’une enquête nationale supervisée par la Cour des comptes. Verdict : la plus haute juridiction financière émet de vives réserves sur ce type de contrat.
Dans le dossier nogentais, la chambre régionale des comptes (CRC) Champagne-Ardenne Lorraine pointe du doigt certaines « imperfections qui tendent à indiquer des insuffisances dans la mission de conseil à la commune » (mission exercée par le groupement Deloitte-TAJ-IDéAM, ndlr). Elle conteste en premier lieu la pertinence du recours à un PPP, dans la mesure où le projet définitif s’est avéré moins complexe à réaliser que le projet initial, qui prévoyait d’intervenir sur quatre sites différents. La chambre en déduit qu’une simple assistance à maîtrise d’ouvrage suffisait et qu’en tout état de cause une seconde évaluation aurait été nécessaire.
Les magistrats contestent ensuite les conditions de passation du contrat. Ils soulignent un relatif manque de transparence et l’irrégularité des offres des deux candidats au regard du règlement de consultation. La chambre régionale des comptes relève surtout que le candidat retenu a modifié « sensiblement » (de 25 %) son offre financière finale, ce qui aurait dû conduire la commune à la « rejeter » car comportant une « modification d’éléments fondamentaux ». Elle considère donc que le candidat retenu a été « indûment favorisé ».
Surcoût de l’opération
La chambre relève aussi plusieurs oublis ou imprécisions dans la rédaction du contrat, en particulier l’absence de clause relative à l’entretien de la structure du bâtiment. Pour justifier cette omission, la commune excipe du coût excessif demandé par son partenaire, ce qui aux yeux des magistrats retire tout intérêt au PPP par rapport à une procédure classique. Plus largement, ceux-ci estiment que le « partage des risques » entre les deux parties est resté trop imprécis, et qu’en particulier « aucune clause spécifique ne porte sur la responsabilité du titulaire vis-à-vis des collections » abritées par le musée.
Relevant que le partenaire privé « ne supporte aucun risque commercial », la chambre s’interroge en dernier ressort sur le réel intérêt financier de la ville dans ce partenariat. « Lisser le coût de l’opération sur 25 ans (la phase d’exploitation, ndlr) a permis à la commune de diminuer le montant du loyer annuel (et d’accroître) ses marges de manœuvre à court terme. (Mais) ce choix (a) conduit à renchérir le coût global de l’opération », conclut-elle.
L’ancien et le nouveau maire divergent
Ce rapport « conforte ma position selon laquelle ce montage juridique n’était pas opportun pour notre collectivité », écrit dans sa réponse à la chambre régionale des comptes l’actuel maire de Nogent-sur-Seine, Hugues Fadin. Sous la précédente mandature, celui-ci s’était vu retirer sa délégation d’adjoint au maire à l’urbanisme en raison précisément de son opposition au PPP.
Quant à son prédécesseur, Gérard Ancelin, il persiste et signe : « Encore aujourd’hui, je choisirais la procédure PPP, dans laquelle nous ne sous serions pas engagés sans l’aval de la mission d’appui aux partenariats public-privé de Bercy. » L’ancien maire estime en effet que le choix du PPP a « permis à la commune de maîtriser ses dépenses et évité les énormes dérives constatées dans d’autres projets muséaux en France. »
Il estime même que, grâce au PPP, « la collectivité se retrouve en position de force pour négocier les propositions d’avenants, voire les refuser », tout en soulignant que le groupement Deloitte « a rempli sa mission dans l’intérêt de la commune ». Pour lui, enfin, la « complexité » du projet ne fait aucun doute : « Construire un musée, ce n’est pas comme construire une école ou une salle polyvalente. Cet équipement qui, à Nogent, mélange du neuf et de l’ancien, est conçu pour durer très longtemps. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire