Le logement aux premières loges du plan pour l’égalité et la citoyenneté
Publié le • • Par Delphine Gerbeau, Hugo Soutra, Brigitte Menguy, Hervé Jouanneau • la Gazette
Les acteurs du logement et de la politique de la ville sont globalement d'accord avec les annonces du Comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté de ce vendredi 6 mars. Tous attendent désormais de rentrer dans la mise en œuvre concrète et précise des mesures.
« Passer des paroles aux actes ! » : c’est un peu le message envoyé par les acteurs du logement et de la politique de la ville, qui ont fait de multiples contributions pour la préparation du catalogue de mesures, volontaristes mais disparates, présenté ce vendredi 6 mars par le gouvernement.
Dans la foulée d’une première réponse sécuritaire avant une autre davantage axée sur la prévention de la radicalisation et l’apprentissage des valeurs de la République, ce plan intitulé «Egalité et citoyenneté : la République en actes» fait effectivement la part belle à la mutation des politiques publiques. Les professionnels comme les acteurs locaux s’exprimant semblent (plutôt) aller dans son sens. Il n’y a plus qu’à.
Ainsi, alors que le gouvernement annonce une application ferme de la loi SRU – avec l’exercice par le préfet du droit de préemption et de la délivrance des permis de construire en lieu et place des maires qui ne respectent pas leurs objectifs de production de logements sociaux –, l’Union sociale pour l’habitat (USH) aurait souhaité aller encore plus loin : « nous avions proposé que le préfet puisse déléguer aux bailleurs sociaux le droit de préemption sur les logements privés, ou encore qu’il y ait un pourcentage obligatoire de 30% de PLAI (les logements sociaux aux loyers les plus bas). Il va falloir maintenant rentrer dans le détail des mesures », estime Marianne Louis, chargée de mission à l’USH.
Stéphane Beaudet, président de l’Association des maires d’Ile-de-France (AMIF), est plus réservé : « sanctionner des maires qui refusent de construire du logement social par pur dogmatisme, c’est légitime. Mais je ne suis pas d’accord avec le fait d’appliquer ce type de mesure sans tenir compte du contexte local et des spécificités de chaque territoire. Laisser le pouvoir d’appréciation au préfet n’est pas un gage d’égalité de traitement » nuance-t-il.
Un délégué interministériel, Thierry Repentin, sera nommé dans les prochains jours pour venir en appui aux préfets dans la mise en oeuvre de ces mesures et la mobilisation des services déconcentrés de l’État en faveur de la construction de logements sociaux. Son arrivée ne sera pas de trop tant le sujet de la mixité sociale dans le logement demeure un sujet complexe et sujet à débat dans le petit milieu de la politique de la ville.
« Disperser les pauvres ne règlera pas le problème de la pauvreté. Constater que nous n’arrivons pas à traiter l’ensemble des besoins sociaux dans les quartiers populaires ne devrait pas nous obliger à prôner automatiquement l’inverse : nous n’arriverons pas à mieux traiter ce problème en les dispersant partout dans la ville, en les coupant de leurs réseaux amicaux et familiaux, dans des environnements aux commerces et à l’offre de soins peu adaptés, etc. Sans être favorable à la ghettoïsation actuelle, reconnaissons que la mixité sociale – si tant est que nous parvenions à la concrétiser – ne résoudrait pas non plus tous les problèmes » met en garde Christophe Hoellander, chef de projet politique de la ville à Paris.
Baisser les loyers
Le gouvernement a retenu d’autres propositions de l’USH, comme le fait de remettre à plat la politique des loyers pour favoriser à terme une plus grande mixité sociale à l’échelle de l’immeuble cette fois-ci : il s’agira de permettre de fixer le loyer d’un logement qui se libère à un niveau compatible avec les revenus d’un demandeur plus modeste. Cette possibilité permettra de minorer le loyer d’un logement dans une zone favorisée pour l’attribuer à un ménage à faible ressources. Mais il faudra en contrepartie autoriser le bailleur à augmenter le loyer d’un logement dans un autre secteur moins favorisé.
C’est un vaste chantier qu’a proposé d’ouvrir l’Union, et qui selon certains bailleurs, relève de la mission impossible. « Il faudra trouver un niveau de mutualisation, au-delà de chaque bailleur, reconnaît Marianne Louis, sinon on aboutira à une situation inégalitaire, liée à la composition du parc de chaque organisme HLM. Il faudra aussi que la Caisse des dépôts et consignations soit autour de la table, pour revoir le conventionnement des logements, puisque le niveau de loyer de chaque logement dépend du prêt avec lequel il a été financé ».
Le nouveau programme national de renouvellement urbain devrait aussi être accéléré, avec un préfinancement dès 2015 – 2016 , de l’ordre de 1 milliard d’euros, aux opérations soutenues par l’ANRU, qui sera mis en place avec l’appui de la Caisse des Dépôts. A ce sujet, l’offre de logements reconstruits après démolition devra être reconstituée prioritairement hors des zones sensibles, sans qu’il n’y ait de pourcentage obligatoire fixé. Il s’agissait d’un des objectifs du premier PNRU, non tenu.
Mieux répartir les ménages Dalo
Le gouvernement a retenu une autre proposition qui divise les acteurs locaux et les professionnels, l’interdiction de flécher les bénéficiaires du droit au logement opposable (DALO) en dessous du seuil de pauvreté vers l’un des 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville. Soutenue notamment par François Pupponi, maire PS de Sarcelles et président de l’Agence national de rénovation urbaine (Anru), elle est prônée par de nombreux maires de banlieue.
« Nous sommes devenus des médecins généralistes, notre salle d’attente ne désemplit jamais, résume Stéphane Beaudet, par ailleurs maire UMP de Courcouronnes (Essonne). A peine une famille sort de la pauvreté, elle quitte le quartier, et arrive un nouveau foyer encore plus pauvre. Il faut cesser de rajouter de la pauvreté à la pauvreté. »
Pour la Fondation Abbé Pierre, néanmoins, « on ne peut pas fermer ainsi la porte de tant de logements sociaux à ceux qui en ont le plus besoin. Bref, il faut d’abord construire et capter des logements abordables hors quartiers politique de la ville avant d’empêcher le relogement dans ces quartiers. Et, sans attendre, faire des efforts conséquents pour améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers populaires et renforcer la redistribution des moyens entre villes riches et pauvres ». Même point de vue du côté de René Dutrey et du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD).
« Ce que nous souhaitions, c’était de de cesser de rendre opposable le Dalo à la centaine de maires gérant des villes abritant des quartiers prioritaires en plus grande difficulté, pas forcément pour l’ensemble des 1500 quartiers. Ce n’est pas très réaliste en l’état du mal logement sur certaines régions. En attendant d’aboutir à une « ville mélangée » de qualité, les gens ont besoin d’un toit » répond Etienne Varaut, vice-président de l’Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU) et par ailleurs chef de projet politique de la ville dans une commune de Seine-Saint-Denis.
Selon la 1ère vice-présidente de Ville & Banlieue, « la politique de l’urgence cogne avec la politique de peuplement à dix ou quinze ans voulue par le gouvernement. Manuel Valls aurait dû obliger les préfets à flécher les bénéficiaires dans les logements vacants des communes hors politique de la ville » propose pour sa part Catherine Arénou, maire UMP de Chanteloup-les-Vignes.
Associer les acteurs locaux pour concrétiser
L’USH, plutôt que de stigmatiser les ménages Dalo, a également émis l’idée de travailler la mixité sociale à l’échelle de l’immeuble, via un indicateur reposant sur de critères économiques, une mesure reprise par le plan gouvernemental. Seraient pris en compte les revenus du foyer, son niveau d’APL, sa composition. La mesure pourrait être mise en oeuvre rapidement, une fois l’obstacle réglementaire qui empêche d’exploiter ce type de données levé.
Enfin, l’élaboration des politiques d’attribution des logements sociaux au niveau intercommunal est prônée, dans le cadre des conférences intercommunales du logement, ce qui a déjà été voté dans le cadre de la loi ALUR. La mutualisation des différents contingents publics de logements au niveau de l’intercommunalité est aussi souhaitée. Des mesure dont l’effectivité dépendra de la maturation de chaque intercommunalité…
« Nous ne pouvons pas continuer la politique de peuplement que l’on mène à l’aveugle depuis trente ans ! Ce sera compliqué d’en trouver les modalités, mais nous sommes obligés d’y réfléchir » reconnait Catherine Arénou, partisane de commissions placées sous la direction des grandes agglomérations voire des départements.
C’est tout l’enjeu du problème méthodologique soulevé par l’IRDSU. Déçue d’une concertation qui n’a pas laissé place à la co-construction, la présidente du réseau Sylvie Rebière-Pouyade (lire le témoignage) s’inquiète désormais de la mise en œuvre réelle des annonces gouvernementales. « Le diagnostic doit être entendu et partagé par l’ensemble des acteurs. Nous avons vu des quantités de bonnes mesures modifiant en profondeur les politiques publiques et la politique de la ville… jamais mises en œuvre ! Le gouvernement propose que nous repensons radicalement nos façons d’agir, très bien, mais qu’il fasse désormais en sorte que cela ne reste pas à l’état de simple vœu pieux » relaie Etienne Varaut, par ailleurs chef de projet Politique de la ville dans une commune de Seine-Saint-Denis.
« Le premier ministre a pointé un enjeu global – celui de la structuration de la ville, de l’habitat et de la lutte contre la ségrégation – donnant ainsi une dimension plus importante aux contrats de ville. C’est positif, mais il n’a fait que la moitié du chemin. L’essentiel du travail va se faire désormais avec les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les associations, pour adapter ces mesures aux contextes locaux, à la tension des marchés immobiliers, les nuancer, les complexifier avec l’aide des habitants, les articuler avec les Plans locaux pour l’habitat (PLH) et les différents dispositifs de partenariats locaux comme les contrats de ville » détaille Benoît Boissières, chargé de mission à l’IRDSU. Beaucoup reste encore à faire, et élus comme professionnels de l’action publique sont appelés à prendre leur part de responsabilités.
Soutien aux associations
Outre la lutte contre la ségrégation à travers le logement, et en attendant la concrétisation réelle de ce plan sur le terrain, les mesures du plan gouvernemental ont reçu un accueil bienveillant chez les professionnels de la politique de la ville. « Le gouvernement a pris une bonne décision en accordant un peu plus de moyens [100 millions d'euros], ou tout du moins, en enrayant la baisse des moyens aux associations. Cela fait des années que ces structures sur lesquelles repose la politique de la ville sont fragilisées » se satisfait par exemple Christophe Hoellander.
Président du réseau DSU Ile-de-France, il note également, « soulagé », que l’hypothèse d’un quatrième volet sur la laïcité et la citoyenneté n’ait pas été rendu obligatoire. « Ce sujet a agité la sphère professionnelle ces dernières semaines et aurait été complètement déconnecté de la réalité dans les délais qui nous sont imposés » reconnaît-il.
L’IR-DSU regrette également le manque d’ambition du gouvernement. Qu’il s’agisse du renforcement de la péréquation, de la réforme de la fiscalité locale en partie responsable de la ségrégation ou encore du fléchage de l’argent public comme des agents publics sur les territoires où sont concentrés les besoins sociaux, « le gouvernement a loupé le coche » convient Etienne Varaut, vice-président de l’IRDSU.
« Nous avons noté le soutien aux associations ou la réserve citoyenne, mais il n’y a toujours pas de fonds d’interpellation citoyenne pour développer le pouvoir d’agir des citoyens ! C’est bien que le gouvernement ait fait son mea culpa sur ce qui n’avait pas marché, mais il aurait également dû interpeller et impliquer davantage les citoyens, acteurs majeurs du « vivre-ensemble ». Dans la foulée des attentats et de la mobilisation collective qui s’en est suivi, il y avait l’opportunité d’avancer sur ces différentes arlésiennes. »
« Nous avons noté le soutien aux associations ou la réserve citoyenne, mais il n’y a toujours pas de fonds d’interpellation citoyenne pour développer le pouvoir d’agir des citoyens ! C’est bien que le gouvernement ait fait son mea culpa sur ce qui n’avait pas marché, mais il aurait également dû interpeller et impliquer davantage les citoyens, acteurs majeurs du « vivre-ensemble ». Dans la foulée des attentats et de la mobilisation collective qui s’en est suivi, il y avait l’opportunité d’avancer sur ces différentes arlésiennes. »
Généraliser les TIG et la réparation pénale
Pas de propositions novatrices concernant le volet « sécurité » du Comité interministériel. Parmi les mesures annoncées, et précisées dans un article du Club prévention sécurité, le gouvernement annonce la généralisation des caméras-piétons sur les équipes de patrouille de police et de gendarmerie. En outre, un dispositif de suivi renforcé de jeunes en voie d’exclusion, appelé « Pack 2ème chance » sera déployé dans l’ensemble des 80 zones de sécurité prioritaires.
Autres mesures déjà dans les tuyaux : le prolongement des ZSP ou encore le recrutement de 500 policiers et gendarmes au cours des trois prochaines années.
Autres mesures déjà dans les tuyaux : le prolongement des ZSP ou encore le recrutement de 500 policiers et gendarmes au cours des trois prochaines années.
Enfin, conformément aux priorités fixées par la réforme pénale ainsi que par la stratégie nationale de prévention de la délinquance (2013-2017), le gouvernement veut « développer les partenariats avec les associations, les entreprises privées et publiques pour faciliter la mise en œuvre de mesures de travaux d’intérêt général (TIG) et de réparation pénale en concluant des accords nationaux avec des entreprises nationales publiques ou privées, en déclinant ces accords au niveau local ».
FOCUS
Un travail de pédagogie de la laïcité plus que jamais nécessaire
Paradoxalement méconnue, la laïcité doit faire l’objet d’un travail de pédagogie afin de se réaffirmer comme un principe régulateur du vivre-ensemble.
Dans ce cadre, le Comité interministériel a annoncé quatre mesures en faveur de la laïcité dont le premier concerne la mise en œuvre avant la fin de l’année scolaire d’un plan exceptionnel de formation des enseignants et des personnels d’éducation afin de les aider à aborder avec les élèves les questions relatives à la citoyenneté (française et européenne), à la laïcité, à la lutte contre les préjugés et discriminations. Ces thématiques feront l’objet d’une évaluation systématique dans les concours de recrutement.
Comme l’a annoncé Marylise Lebranchu, le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires sera amendé afin de consacrer le principe de laïcité dans le statut général comme valeur fondamentale de la fonction publique. Ainsi, le statut des fonctionnaires énonce clairement que la manifestation de ses croyances et convictions religieuses par un agent public dans le cadre du service public constitue un manquement à ses obligations. À l’entrée dans la fonction publique, chaque agent public devra signer l’engagement de respecter ces valeurs. Une charte explicative adaptée aux missions de l’agent lui sera remise pour rappeler que tout manquement expose à une sanction. L’ensemble des agents publics recevra une formation générale et opérationnelle aux valeurs de laïcité dans le cadre de leur formation initiale ou par la formation continue.
Sera également consacré dans le statut, le principe de neutralité, qui impose à tout agent public de traiter à égalité tous les usagers, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Dans cette logique, à compter du 1er juillet 2015, dans chaque administration, au sein des services en contact avec le public, des « chartes de la laïcité dans le service » adaptées aux missions rappelleront les principes applicables aux usagers et les réflexes pratiques en cas de difficulté : pratiques de médiation, modalités de signalement, recours à une « cellule », à un déontologue.
Des « cellules de conseil et d’expertise » seront mises en place au niveau de chaque grande région. Elles travailleront en lien avec l’Observatoire de la laïcité, en s’appuyant sur les réseaux et les référents existants dans les différentes administrations. Ces cellules pourront être saisies par les responsables publics souhaitant recevoir un appui, notamment afin de faciliter le recours à la médiation au sein de leur structure.
Enfin, afin de mieux outiller les employeurs, les salariés et leurs représentants, le ministère du Travail est chargé d’élaborer et de diffuser, en concertation avec les partenaires sociaux, un guide pratique sur la laïcité dans l’entreprise. Ce guide, diffusé pour la rentrée 2015 sur le site internet du ministère du Travail, devra fournir des réponses précises et opérationnelles aux questions posées régulièrement par l’application du principe de laïcité dans l’entreprise.
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