23 janvier 2014

Drogue : l’efficacité de la ZSP remise en cause à Saint-Ouen

Depuis deux mois et encore récemment samedi 18 janvier, des centaines d'habitants de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) se mobilisent pour obtenir la présence durable de renforts policiers dans la première zone de sécurité prioritaire de France. Exaspérés face au trafic de drogue minant continuellement leur quotidien, ils sont soutenus par la mairie et les bailleurs sociaux.


Une banderole « Je me bouge pour ma ville contre les trafics » est installée devant la mairie de Saint-Ouen depuis mi-janvier 2014.
Une banderole « Je me bouge pour ma ville
contre les trafics » est installée devant la
mairie de Saint-Ouen depuis mi-janvier 2014.
Ils étaient encore 400 à braver le froid ce samedi 18 janvier pour faire valoir leur « droit à la sécurité », devant la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Soit aussi nombreux que le 17 décembre dernier, lorsque deux cars d’habitants étaient allés porter une pétition [2]exigeant « la sécurité pour tous » au ministère de l’Intérieur.
La colère ne redescend pas parmi la population de cette banlieue populaire de près de 50 000 habitants, aux portes de Paris, où la délinquance quotidienne demeure faible… mais le taux d’homicide largement supérieur à la moyenne nationale.
Dans leur ligne de mire : l’efficacité, démentie selon eux, de la première zone de sécurité prioritaire (ZSP)installée en grande pompe par Manuel Valls en septembre 2012 [3].



Résultats probants… - Face aux dealers installés aux yeux de tous, les renforts ponctuels de la préfecture de police de Paris présents 24h sur 24 dans les halls d’entrée et cages d’escalier, combinés à la mobilisation conjointe des douanes et des agents du Fisc avaient pourtant été bien accueillis par la mairie et la population.
Dans les premiers mois, plusieurs centaines de kilogrammes de cannabis et près de 200 000 euros ont en effet été saisis par la police nationale; les trafiquants ont été traqués et bien souvent condamnés; l’espace public a été « libéré ».
Reconnaissant volontiers, hier, le succès de « la coordination des actions répressives, en lien avec les actions préventives de la Justice, de l’Education nationale et de la mairie », le directeur général adjoint de la mairie Mario Salvi, à la retraite depuis fin 2013, a aujourd’hui changé d’avis.
Il dit ressentir un « coup de mou dans l’engagement du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny. Depuis cet été, les procédures se sont rallongées, les condamnations ne tombent plus immédiatement, les suspects sont plus facilement relâchés. »

… Relâchement visible - Même son de cloche du côté du directeur Prévention-Sécurité de Saint-Ouen : « le cadrage et le pilotage des ZSP se faisant exclusivement par les services de l’Etat, le maire n’est plus véritablement le chef de file de la prévention de la délinquance, malgré la loi de 2007 » témoigne Frédéric Attal, « le problème c’est que quand l’Etat se relâche, les collectivités se retrouvent automatiquement à la rue. »
La création de nouvelles ZSP, et donc le transfert de moyens jusqu’ici concentrés chez eux vers d’autres territoires sensibles [4], coïnciderait avec la réinstallation d’un trafic qui a certes été déstabilisé mais qui a bien résisté.
Car, contrairement à la situation qui prévalait au début des années 2000 à Saint-Ouen, le « marché » de la drogue est désormais structuré à l’échelle régionale.
« 80% du trafic est généré par des clients extérieurs, qui achètent à des acteurs extérieurs. Les jeunes enfants de locataires audoniens ont laissé la main ou ont été délogés par des groupes mafieux extrêmement bien organisés, qui ne connaissent pas les habitants, nous menacent [5] et contrôlent nos papiers d’identité avant de nous autoriser à rentrer chez nous » rapporte Patrice Baudouin, habitant de Saint-Ouen et l’un des initiateurs des dernières mobilisations citoyennes.
Conflits violents - Posant davantage un problème de tranquillité publique que de sécurité, cette monopolisation de l’espace public par les dealers engendre néanmoins un sentiment d’insécurité voire même de « privation de liberté » chez certains habitants.
La mairie pointe du doigt la stratégie court-termiste de la police nationale. « L’intervention policière est parfaitement adaptée, mais n’est pas suivie dans le temps. Du coup, le trafic se réinstalle et il faut, dès lors, repartir sur de longues enquêtes qui durent six à huit mois… » explique, amer, Mario Salvi.
« Suite au nouveau démantèlement d’un réseau de trafiquants dans le vieux Saint-Ouen, à l’automne dernier, une bande de jeunes qu’on ne connaissait pas a immédiatement débarqué armes aux poings pour récupérer le point de deal » raconte effrayé Patrice Baudouin, qui est aussi président de la section locale de la Confédération nationale du logement (CNL).

Géopolitique de la drogue - Cette démonstration de force – sur fond de luttes de territoires entre résidents, bailleurs, policiers et réseaux de trafiquants – l’a poussé, avec d’autres voisins investis dans les associations de locataires ou d’autres associations culturelles, à faire signer une pétition(1) [6] et à durcir la mobilisation citoyenne.
De quoi conforter et renforcer la municipalité, qui a entamé un rapport de forces avec les services de l’Etat pour re-mobiliser les différents acteurs censés être coordonnés par la ZSP…
« Il y a une démarche de mobilisation qui naît et sur laquelle, nous, acteurs municipaux, essayons de capitaliser » ne se cache pas Frédéric Attal. « La ville développe ses propres outils institutionnels mais s’aperçoit qu’il n’y a rien de mieux qu’une présence citoyenne, en bas des cités, pour faire fuir les dealers » explique celui dont la tâche consiste à « construire des outils que s’approprient ensuite les habitants intéressés et formés par le biais de l’Université populaire de prévention et de sécurité (UPPS) [7]. »

Participation des habitants - C’est par exemple le cas des réoccupations de l’espace public lors de « vendredis citoyens », qui donnent lieu à des goûters ou des jeux organisés au pied des immeubles.
Pour la mairie et les bailleurs sociaux, ce sont autant un moyen de rentrer en contact avec les dealers que de réactiver du lien social et recueillir les souhaits des habitants.
Selon le directeur Prévention-Sécurité de Saint-Ouen, les frappes des CRS « auraient pu être salvatrices si les citoyens avaient eu le temps de se réapproprier l’espace public. Le fait que les trafics se réorganisent une demi-journée seulement après qu’ils aient été démantelés démontre que nous n’avons pas besoin de deux ou trois descentes de policiers supplémentaires, mais d’un car de policiers posé au cœur de la cité, qui îloterait le quartier 24h sur 24. »
Au cours d’une dernière réunion le 17 janvier avec la maire Jacqueline Rouillon (PCF), le préfet de police de Paris Bernard Boucault a peu ou prou répété les promesses faites fin décembre par le ministère de l’Intérieur.

A savoir : la relance de la cellule de coordination opérationnelle du partenariat, l’extension de la ZSP à deux nouveaux secteurs, ainsi que toutefois le déploiement d’effectifs supplémentaires dans le Vieux Saint-Ouen et la signature rapide de l’arrêté préfectoral autorisant la mairie à mettre en service ses 21 caméras de vidéosurveillance. Affaire à suivre, donc.

De la « cellule de veille » au GPIS, Saint-Ouen n’écarte aucunes pistes

Si elle se plaint de ne pas être suffisamment associée à la ZSP, la mairie de Saint-Ouen n’a pas pour autant stoppée sa réflexion autour du trafic de drogue, entamée en 2009 après trois homicides successifs.
Sous l’impulsion du directeur général adjoint Mario Salvi, une « cellule de veille » réunit tous les jeudis matins élus, directeurs des services Prévention et Jeunesse, commissaire de police et bailleurs sociaux. Ils y ont appris à se  connaître alors que le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) était au point mort, y croisent toutes sortes d’informations, partagent leurs diagnostics, coordonnent les interventions préventives (UPPS, contrat local de santé, projet de réussite éducative, accompagnement des collégiens temporairement exclus, mission parentalité, club RH, accompagnement personnalisé de lutte contre la récidive), etc…
Confort de la police - « Par l’achat de matériels (véhicules, vélos, talkies-walkies) ou l’octroi de facilités de logements, nous faisons tout pour que les policiers nationaux trouvent des conditions de travail satisfaisantes » explique Mario Salvi.
Objectif : que tous les postes du commissariat local soient pourvus, alors que la Seine-Saint-Denis subit un turn-over important [8] et que les effectifs alloués fin 2013 ne combleront qu’environ 80% des postes vacants à l’échelle du département.
Les bailleurs sociaux sont, eux, confrontés chaque jour aux limites de la prévention situationnelle. « Entre les portes métalliques découpées la nuit suivante leur installation à la disqueuse ou les ampoules des cages d’escalier peintes en noir pour plonger l’immeuble dans la pénombre et commercer tranquillement, ils nous livrent une véritable course ! Mais il ne faut jamais s’arrêter : nous n’avons pas le droit de baisser les bras sur la propreté et le nettoyage, il faut avoir au moins si ce n’est plus d’imagination qu’eux » explique Catherine Netter, la directrice adjointe de Saint-Ouen Habitat Public, plus gros bailleur de la ville, qui est d’ailleurs en passe de recruter un référent-sûreté.
Lettre de sensibilisation - Après avoir entendu des échos faisant état de la création d’une possible « milice » de locataires, la mairie et les trois bailleurs avaient un temps évoqué la possibilité d’intégrer le discret Groupement parisien inter-bailleurs de surveillance (GPIS). Alors que le coût certes élevé de ce ralliement aurait pu être compensé par les économies générées par la baisse des actes de vandalisme dans les cages d’escalier, les difficultés juridiques liées à l’agrémentation pour l’armement en 6ème catégorie ont, semble-t-il, eu raison de ce souhait.
En attendant d’hypothétiques renforts policiers envoyés par l’Intérieur, les médiateurs sociaux de la municipalité  continuent donc leurs rondes et des missions ponctuelles de gardiennage privé sont quelque fois payées.
Pendant ce temps, les consommateurs venus de Seine-Saint-Denis mais aussi et surtout de Paris ou des Hauts-de-Seine, bien que sensibilisés par la mairie, [9] continuent à se succéder pour le plus grand bonheur des trafiquants.

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