10 février 2015

Et si on arrêtait de parler de "mixité sociale" …

Mixité sociale : la solution miracle qui cache les vrais enjeux
Les jardins ouvriers du Zéphyr, à la Rose des vents, Aulnay-sous-Bois
Les jardins ouvriers du Zéphyr, à la Rose des vents,
Aulnay-sous-Bois

Ramener de la mixité sociale dans les quartiers, une façon de se donner bonne conscience après les récents attentats ? Les professionnels s’interrogent.

La lutte contre la « ghettoïsation » dans les quartiers pauvres passe par une « politique du peuplement ». C’est en résumé ce qu’a déclaré le Premier ministre, Manuel Valls, le 22 janvier, parmi la série de mesures annoncées après les attentats.
En arrière-plan, réapparaît le débat ancien sur la mixité sociale comme facteur de paix sociale, un postulat ardemment discuté par les scientifiques. Du côté des professionnels du logement social et de la politique de la ville, ces incantations ont parfois fait sourire – ou inquiété.
« La loi contre les exclusions sociales de 1998 a introduit la notion de mixité sociale, qui apparaît 35 fois sans être définie, le terme est toujours aussi flou aujourd’hui »,
remarque Philippe Oliviero, directeur de la Fédération régionale des HLM de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse. « La loi fixe des critères d’attribution des logements sociaux, rappelle Marianne Louis, à l’Union sociale pour l’habitat [USH]. Les bailleurs sociaux sont pris entre leurs obligations légales et un discours très politique. »
Responsabilité partagée - Les bailleurs sociaux ne voudraient pas être les boucs émissaires d’une situation dont la responsabilité est très partagée.
« La non-mixité dans certains quartiers est la résultante de plusieurs facteurs : un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements, l’accumulation des priorités des réservataires qui ont chacun un contingent d’attribution de logements, les contraintes réglementaires comme l’obligation de loger en priorité les publics Dalo. Les marges de manœuvre sont très restreintes dans les attributions de logements et il faut arbitrer entre l’urgence, l’ancienneté des demandes et la mixité sociale », résume Anne-Marie Fekete, directrice de la prospective chez le bailleur Valophis.
Surtout, une politique de peuplement se construit au fil du temps et des attributions de logements, changer la composition d’un quartier en quelques mois est illusoire.
Continuité des profils sociaux - L’exemple du premier Programme national pour la rénovation urbaine est, à ce titre, emblématique : les différentes études menées démontrent que, même si les habitants changent dans les quartiers rénovés, ils gardent les mêmes profils sociaux et difficultés.
A ce titre, François Pupponi, maire de Sarcelles et nouveau président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), estime qu’« il faut empêcher les attributions de logements aux familles reconnues prioritaires au titre du Dalo dans les quartiers rénovés dans le cadre de l’Anru. Elles doivent, au contraire, être logées là où il y a peu de logements sociaux ».
Le groupe Valophis a travaillé sur le peuplement en classant son parc de logements en quatre catégories, la dernière étant celle la moins attractive car cumulant le plus de difficultés. L’objectif est d’y limiter les attributions de logements aux publics cumulant plus de deux critères de fragilité de type bas revenus, monoparentalité, etc. « Les différents réservataires – Etat, collectivités, Action logement – partagent notre souci, mais ils doivent faire face à la pression de la demande », reconnaît Anne-Marie Fekete.
Travailler avec tous les bailleurs – Autre outil : la politique des loyers des bailleurs sociaux, qui doit être revue dans le cadre des conventions d’utilité sociale en 2016. Mais seul un travail avec l’ensemble des bailleurs du territoire pourra à terme être efficace, au niveau intercommunal, sous peine de créer de nouveaux « ghettos ». En résumé, le chantier est long et complexe.
Villeurbanne (146 000 hab.) a pris le problème sous un autre angle. En 2013 déjà, le maire, Jean-Paul Bret, avait lancé une réflexion sur le thème « mixité sociale et non-discrimination », qui a abouti à un rapport intitulé « Faire ensemble une ville inclusive ».
« Le discours de la mixité sociale et sa pratique ont des effets négatifs sur les populations précarisées et discriminables », peut-on lire en conclusion. Les auteurs proposent d’y substituer la recherche d’un égal accès au logement et à la ville, dans le respect et la prise en considération des trajectoires de chacun. Le débat est ouvert.

Education : modifier les découpages de la sectorisation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, a annoncé, le 22 janvier 2015, une série de mesures dans le cadre de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». Parmi celles-ci, figure une « politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges ». Un état des lieux sera établi en 2015-2016 sur la mixité sociale au sein des collèges publics et privés sous contrat, en concertation avec les collectivités compétentes.
De nouveaux objectifs en matière de mixité sociale doivent être définis, avec à la clé un redécoupage des secteurs de recrutement des collégiens, ainsi qu’une nouvelle procédure d’affectation des élèves. « L’évitement dont sont victimes certains collèges est un souci que nous partageons avec l’Education nationale », admet l’Assemblée des départements de France (ADF).
Elément régulateur - Depuis 2004, ce sont, en effet, les conseils généraux qui arrêtent les périmètres de recrutement des collégiens, l’affectation individuelle revenant à l’Education nationale. Pour l’ADF, si la sectorisation n’est pas une « baguette magique », elle reste un élément régulateur important qu’il est nécessaire de préserver, car son assouplissement n’a fait qu’amplifier le clivage social dans les zones en difficulté.
Le sociologue Marco Oberti en appelle à des décisions « politiquement courageuses » [2]. Il conviendrait d’abord de sortir les contours de la carte scolaire du cadre municipal lorsque l’homogénéité ethnique et sociale d’une zone est trop importante, ce qui permettrait de calculer un « profil moyen d’établissement » à l’échelle de ces nouveaux secteurs et d’éviter qu’il y ait une différence significative dans leur profil social. Mais cela doit aussi s’accompagner d’une plus grande implication du secteur privé dans la régulation des affectations. « Il est tout de même surprenant que les établissements privés conventionnés, qui dépendent pour l’essentiel de fonds publics, échappent aux règles de sectorisation », souligne-t-il. D’autant plus que « les garçons de milieu défavorisé ont deux à trois fois plus de chances d’obtenir leur brevet des collèges s’ils fréquentent un collège privé », assène-t-il, imaginant une aide aux plus démunis pour intégrer de tels établissements. Encore faut-il que ces collèges s’implantent dans les zones qui en sont dépourvues et que tous les acteurs jouent le jeu de la mixité sociale.

« Cesser de voir certains quartiers sous un angle uniquement pathologique »

Eric Charmes, sociologue et urbaniste
On peut attribuer des vertus à la mixité sociale, mais le passage d’un état de ségrégation à celui de la mixité sociale peut avoir un coût social excédant celui des avantages, par exemple en termes de lien social ou de réussite scolaire. En outre, les quartiers désignés comme des ghettos peuvent avoir un rôle de sas pour certaines populations et ils sont d’ailleurs caractérisés par une forte mobilité résidentielle. Certes, ils représentent aussi une nasse pour certains, qui s’y sentent piégés. Ceci étant, ces quartiers n’ont pas que des tares, ils ont aussi des atouts. Pour les mettre en valeur, il faut, bien sûr, des moyens supplémentaires destinés aux services publics, notamment pour l’école. Il faut aussi arrêter de voir ces quartiers sous un angle uniquement pathologique et reconnaître la valeur de leurs habitants. Le discours sur la mixité sociale est, à ce titre, plutôt contre-productif et cache les vrais enjeux.

Annonces à venir : un comité interministériel dédié

Un comité interministériel consacré à la lutte contre les inégalités sera organisé début mars. Au menu, des mesures sur la cotation de la demande de logements sociaux et probablement des mesures pour développer les mutations de logements au sein du parc social (elles représentent un tiers des demandes). Le règlement du Nouveau Programme national de renouvellement urbain, en cours de rédaction, devrait prévoir des dispositions comme la reconstitution des logements détruits hors site. Enfin, les nouveaux contrats de ville devront contenir une convention intercommunale de peuplement pour les attributions de logements sociaux.

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