10 mai 2014

Fusion des régions : des économies accessoires face à l’ampleur des enjeux

La Gazette le 09/05/2014 • Par Fabienne ProuxPour faire baisser les dépenses publiques, il faut simplifier l’organisation territoriale, martèle le gouvernement. Et pour commencer, fusionner des régions. Chiffres à l’appui, diviser par deux le nombre de régions ne générerait que très peu d’économies. Sauf à opter pour une spécialisation des compétences et une remise à plat des politiques publiques.


«Il est hallucinant de vouloir faire croire que la fusion des régions serait source d’économies », assure François Mouterde, directeur associé du cabinet de conseil Planète publique. En premier lieu, parce qu’il existe peu de leviers à ce niveau sur le personnel, contrairement au bloc communal (1,45 million d’agents). Près des deux tiers des agents employés par les régions (52 000 sur un total de 82 000) sont des personnels techniques, ouvriers et de service (TOS) travaillant dans les lycées et dont les activités se poursuivront après d’éventuelles fusions.
Une étude de 2008 (1) sur l’hypothèse de l’union des Haute-Normandie et Basse-Normandie montrait que la rationalisation des effectifs ne concernerait que les postes d’encadrement et les fonctions support, soit 10 % des dépenses de personnel (780 agents dans les deux régions en 2006). René Dosière, député de l’Aisne, confirme que les économies possibles en cas de fusion de régions concernent les dépenses d’administration générale. Il évalue la marge de manœuvre entre 10 % et 15 %, soit environ 2 milliards d’euros d’économies sur une base de dépenses de fonctionnement de 17,2 milliards en 2012.

Réponse insuffisante - La Fondation Ifrap, think tank dédié à l’analyse des politiques publiques, prévoit une économie « d’environ 1 milliard d’euros en année pleine dont 275,6 millions sur les dépenses de personnel sur cinq ans », dans l’hypothèse où les départs en retraite (53 % de départs potentiels en 2025) ne seraient pas remplacés entre 2015 et 2020. « Pour préserver les recettes d’investissement des régions, il semble plus pertinent de proposer un redécoupage de celles-ci en fonction des PIB départementaux pour en extrapoler le potentiel fiscal », explique Samuel-Frédéric Servière, chercheur à l’Ifrap.
Selon la Fondation Ifrap, l’avantage du redécoupage partiel de certaines régions en fonction du PIB départemental, serait « de les fusionner avec des homologues beaucoup plus riches, permettant de supprimer parfois entièrement leur budget d’origine ». Par exemple, la région Champagne-Ardenne disparaîtrait totalement tandis que la région Centre serait amputée de 45,3 % de son budget de fonctionnement.

Dans tous les cas, la limite de 10 % gagnés sur les fonctions support fait plutôt consensus auprès des divers acteurs, ce qui montre que la fusion des régions ne peut pas être une réponse à la hauteur des 11 milliards d’euros d’économies recherchées, à politiques publiques constantes. « Si l’on recherche des économies, faire diversion avec les fusions des régions ne sert à rien sans remise en cause des organisations et des politiques publiques », assure Marie-Joëlle Thenoz, associée au cabinet de conseil Kurt Salmon, « car une fusion coûte dans un premier temps et pendant au moins cinq ans, notamment parce que l’on nivelle toujours par le bas la fiscalité et toujours par le haut les rémunérations et les dispositifs ». La consultante préconise de réduire les coûts dès aujourd’hui, à l’instar de la région Midi-Pyrénées.

Utilité de certaines dépenses - Le principal gisement d’économies est à chercher du côté des doublons liés à la clause générale de compétence que l’actuel projet de loi de décentralisation prévoit de supprimer pour les régions et les départements.
René Dosière estime à 1 milliard d’euros le montant des interventions des régions dans la culture, le sport et les loisirs. « La solution la plus extrême serait que les conseils régionaux cessent ces financements », convient l’élu, mais « qui assurera les dépenses qu’ils couvrent ? ». Ce qui fait dire à François Mouterde que « les vrais gains seront obtenus à partir de l’évaluation des politiques publiques car certaines dépenses sont moins utiles que d’autres en période de contraintes financières ». 
Tandis que pour Françoise Larpin, directrice nationale du secteur public local chez KPMG, les économies « significatives » pourraient provenir « de la cession des interventions des services déconcentrés de l’Etat relevant des compétences transférées aux régions ». Une « clarification » des compétences souvent jugée indispensable.
Pouvoir prescriptif - Marie-Joëlle Thenoz imagine un modèle qui consisterait à demander aux régions d’être « plus vertueuses » que les autres collectivités en contribuant davantage aux 11 milliards d’euros d’économies, mais « en contrepartie elles disposeraient d’un pouvoir prescriptif sur les autres échelons locaux de manière à leur permettre de conventionner des rationalisations adaptées à l’échelle du territoire régional ».
L’avantage de ce dispositif : « responsabiliser les régions sur une masse d’économies à réaliser sur l’ensemble du territoire (11 milliards divisés au prorata du poids de chacune des nouvelles régions), les services déconcentrés de l’Etat ne pouvant le faire ». Sûrement pas du goût des élus locaux.

CHIFFRES-CLÉS

De +15 à -5,4 millions d'euros
Selon l’option choisie pour la fusion des Haute-Normandie et Basse-Normandie (centralisée, territorialisée ou localisée sur 2 sites), les économies se chiffrent à 2,7 millions d’euros, 1,4 million ou 2,1 millions. Le coût net de la fusion sur dix ans (dépenses liées au processus par rapport aux économies) s’élève à + 9 millions dans le premier cas, - 5,4 millions dans le deuxième et + 15 millions dans le dernier cas, avec un retour sur investissement à partir de six ans.

Réduction de l’autofinancement

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L’Association des régions de France explique que, « privées de ressources dynamiques et face à des dépenses contraintes inflationnistes », les régions ont perdu, entre 2010 et 2012, « 250 millions d’euros d’autofinancement par an, en moyenne ». En 2014, elles cumulent la baisse de la dotation globale de fonctionnement de 184 millions et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de 100 millions. Dans le cadre des 11 milliards à économiser par les collectivités, baisser les dotations aux régions de 440 millions par an pendant trois ans reviendrait, selon l’ARF, à réduire leur autofinancement de près de 1,3 milliard (- 33 %).

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Midi-Pyrénées revisite ses interventions

Dès 2008, le président de la région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, a fixé un objectif de réduction des dépenses de 15 % sur trois ans. Un exercice réussi en agissant sur les politiques publiques et sans toucher à la masse salariale. Les aides (achat de livres scolaires, acquisition d’ordinateur portable, mobilité étudiante…) sont désormais attribuées sous condition de ressources. 
« Pour gagner en efficacité et disposer de marges de manœuvre optimums, toutes les actions à l’intérieur de nos interventions sont revisitées, en se recentrant sur les cibles prioritaires et se libérant des dispositifs facultatifs », indique Joël Neyen, directeur général des services. 
Résultat : grâce à une forte maîtrise de l’évolution des charges de fonctionnement (+ 0,9 % en 2014), notamment de la masse salariale (aucun poste créé dans les services généraux depuis trois ans), la région maintient ses investissements (473 millions d’euros) en ayant peu recours à l’emprunt. Elle se considère comme la moins endettée de France (82,3 euros/habitant) et présente une capacité de désendettement d’un an et un mois.
FOCUS

Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS -

« L’élargissement des régions donnerait de l’air aux conseils départementaux »

« Il est difficile de considérer la fusion éventuelle des régions comme le principal levier de la rationalisation des dépenses des collectivités locales, ne serait-ce qu’au regard de la faiblesse des effectifs concernés. Une logique strictement budgétaire devrait amener à privilégier la fusion des communes, comme cela s’est fait en Europe. Mais une logique politique conduit à tenir compte des soutiens politiques dont bénéficient les communes, très puissantes en France. Le coût politique d’une fusion des communes paraissant pour le moment hors de portée, il est envisagé celle des régions. L’élargissement de leur taille donnerait de l’air aux conseils départementaux, pris en sandwich entre des intercommunalités élargies – dont la taille minimum va être portée à 10 000 habitants – et des régions qui demeurent, pour certaines, assez petites quand elles comptent deux ou trois départements. La fusion des petites régions favoriserait la survie des conseils départementaux en dehors des territoires métropolitains. Or cette option a le soutien du Sénat, comme l’a rappelé la mission “Raffarin-Krattinger. Il n’est pas impossible que l’exécutif ait été sensible à ces arguments. »

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