L'immeuble construit à Montreuil pour des Roms - Lire plus bas un article à ce sujet. photo Eric Baudet/ Divergence pour le JDD |
En mars 2014, Jean-Luc Le Drenn saura. Candidat à sa propre succession, le maire divers-gauche d'Indre, petite ville de 4 000 habitants de l'agglomération nantaise, saura si l'action qu'il mène depuis plusieurs années en direction des Roms de sa commune est du goût ou pas de ses concitoyens. "Avec quelques élus, on mettra sans doute en jeu notre mandat sur ce dossier", confie-t-il en évoquant le projet qui lui vaut d'être sollicité par de nombreux médias en ce moment : un village d'insertion comprenant cinq mobile-homes, habités par autant de familles roms, plus un sixième servant de pièce commune et de buanderie. "On verra ce qu'en pense la population. Il n'y a que les urnes qui le diront", philosophe l'élu de ce bastion industriel historiquement à gauche.
Avec ses airs de patio méditerranéen – linge qui pend entre deux baraques, femmes en fichu s'affairant dans la cour, enfants espiègles revenant de l'école – l'endroit raconte assez peu l'histoire singulière qui a précédé sa réalisation. Une histoire de précarité et de solidarité dont l'origine remonte à novembre 2009.
Expulsées d'un terrain situé à Nantes, 50 caravanes viennent s'installer ce jour-là le long d'un chemin appartenant à l'ancienne usine AZF Soferti, fermée trois ans plus tôt. L'automne est pluvieux, la boue collante. "On ne pouvait pas laisser ces gens comme ça sur le plan sanitaire et humanitaire", se souvient M. Le Drenn.
Un conseil municipal "extraordinaire" est alors convoqué dans un gymnase en présence de 300 habitants. Les discussions sont animées, houleuses parfois. Un tiers de l'assistance prône le renvoi de ces visiteurs impromptus. Décision est finalement prise par les élus de ne pas appliquer "la politique de la patate chaude", consistant à repousserle "problème" vers des communes voisines.
Un câble électrique est tendu en direction du campement où l'eau coule déjà via une dérivation que les Roms ont eux-mêmes bidouillée. Les enfants – une quarantaine – sont inscrits dans les écoles. Une mission est confiée au seul policier municipal de la commune : veiller au vivre-ensemble et...encaisser les 70 euros mensuels, par caravane, réclamés par la mairie.
"LES RÈGLES ÉTAIENT TRÈS CLAIRES"
Il faudra attendre un an avant que ne soit construit ce "village de la solidarité", cofinancé par Nantes Métropole (45 000 euros de voiries et réseaux divers) et l'Europe (17 000 euros pour les mobile-homes). Cinq familles s'y installent en février 2011 à la suite d'une "sélection"effectuée par la mairie à l'intérieur même du campement.
"Nous avions retenu plusieurs critères : l'assiduité des enfants à l'école, la volonté de trouver un emploi, l'entretien de sa propre caravane et la citoyenneté au sens large. Ils savaient dès le départ que nous n'allions pas garder tout le monde. Les règles étaient très claires, et ils les ont tout à fait respectées", raconte Jeanne Gantier, la présidente de Romsi, un collectif de bénévoles créé aux premières heures de l'occupation du terrain.
Mais quid des autres ? "Nous leur avons dit que nous trouverions une solution pour chacun. Très franchement, je n'en avais aucune...", reconnaît aujourd'hui Jean-Luc Le Drenn. Deux jours avant la date d'expulsion (consécutive à un recours d'AZF), la quarantaine d'"autres"familles quitteront finalement le site et s'installeront par petits groupes, après moult coups de téléphone et "coups de forcing", dans des communes des environs. "Chez des maires qui ont la fibre..." – sociale s'entend.
"CONTRAT MORAL"
Pour les heureux élus du village d'insertion en revanche, une sorte de"contrat moral" va alors être passé avec la mairie : "On leur a fait comprendre que si d'autres Roms venaient s'installer sur la commune, nous n'aurions pas les moyens de s'occuper d'eux. Ils ont fait passer le message. Depuis, nous n'en avons pas d'autres", s'en féliciterait presque le maire.
"Nous leur avons également dit, d'entrée de jeu, qu'ils devaientrespecter les règles de la République, que vivre en France donne des droits mais aussi des devoirs", poursuit l'élu, avant de préciser plus crûment sa pensée."S'il y a une connerie de faite, un cambriolage par exemple, c'est dehors !" Les familles sélectionnées ont par ailleurs été dissuadées de faire la manche ou de ramasser des métaux. Car le but est de les aider à trouver un emploi, synonyme d'intégration.
Plusieurs ont un emploi aujourd'hui. Rien de fixe cependant. Les hommes travaillent chez des maraîchers ou des viticulteurs. L'un d'eux enchaîne des CDD dans une entreprise de travaux publics. Plusieurs femmes font des ménages. Bon an mal an, les cinq familles – 27 personnes dont 13 enfants – arrivent à payer chaque mois les 150 à 200 euros de loyer et de factures d'eau et d'électricité. Des jobs pérennes leur ouvriraient l'accès aux logements sociaux. "Habiter dans un véritable appartement est dans la logique des choses. Ils ont les mêmes aspirations que les Français", indique Jeanne Gantier.
COURS D'ALPHABÉTISATION
"Le but n'est pas qu'ils restent là ad vitam aeternam, même si le contexte est assez sécurisant pour eux : les enfants vont à l'école, les habitants ne leur lancent pas de cailloux, ils habitent dans du 'quatre étoiles' comparé à leur caravane d'origine... Accepteront-ils de toutquitter pour un logement social ?", s'interroge M. Le Drenn. "Oui bien sûr", répond Florina Stoican, 30 ans, originaire de la petite ville roumaine de Punghina comme ses voisins. "Les enfants grandissent et il est de plus en plus difficile de faire tenir tout le monde dans un espace si petit. Cela prendra peut-être deux ou trois ans avant departir." A ce stade, seule une jeune mère a quitté le mobile-home de ses parents pour aller vivre dans une HLM avec son compagnon.
Il faut dire aussi que le "petit village", comme l'appellent les Roms, a tout du "cocon", dixit Jeanne Gantier. Des cours d'alphabétisation y sont prodigués à destination des adultes, du soutien scolaire est proposé aux enfants et un atelier cuisine permet aux femmes devendre des plats typiquement roumains.
"Nous n'avons de cesse de leur dire qu'ils sont des Indrais comme les autres et qu'ils doivent arrêter de se considérer comme des victimes, continue Jeanne Gantier. C'est dans cette idée que nous les avons aidés à remplir une déclaration d'impôts, même s'ils n'en paieront pas."La prochaine étape sera de les inscrire sur les listes électorales. Monsieur le maire peut être sûr qu'eux, au moins, voteront pour lui.
Montreuil, la ville des Roms
Malgré les critiques, la ville de Dominique Voynet s'est lancée dans un ambitieux programme d'accompagnement pour une centaine de familles.
"C'est bien, ici, il n'y a pas de rats et il y a des toilettes!" Sarah, 10 ans, et ses copines se poussent du coude et rigolent quand on leur demande ce qu'elles pensent de leur nouvelle maison. L'école est finie et la vie s'anime devant les 11 logements modulaires installés en juin dernier sur un petit terrain en retrait de la rue Paul-Bert dans le Bas-Montreuil. "Mon maître m'a dit que je travaillais bien", poursuit la gamine rieuse scolarisée en classe de CM1 et qui, après avoir hésité un instant avec le métier de "fermière", confie qu'elle se verrait bien travailler "dans la police"… Qui a dit que les populations roms ne voulaient pas s'intégrer?
C'est en tout cas le pari de la municipalité de Montreuil depuis l'incendie d'un squat en juillet 2008 et la signature en 2010 d'une convention Mous (maîtrise d'œuvre urbaine et sociale) avec l'État. Une centaine de familles roms (350 personnes) sont concernées. Elles sont aujourd'hui installées dans deux "villages d'insertion" et, pour les plus autonomes (titre de séjour, condition de ressources…), dans 22 "logements passerelles" répartis sur deux sites – dont celui où vivent désormais Sarah et sa famille –, dernier sas avant un retour vers ce que les travailleurs sociaux appellent "le droit commun".
Une façon de justifier les démantèlements
Confronté comme d'autres communes de l'Est parisien au "problème rom", Montreuil "essaie de faire sa part, toute sa part, mais pas plus", insiste-t-on au cabinet de Dominique Voynet. Une formule qui vise à assumer le coût politique – mécontentement des riverains, bisbilles politiciennes… – et le coût financier – 7,20 euros par habitant en 2012 pour cette ville de plus de 100.000 habitants – de ce programme ambitieux. Une façon aussi de justifier les démantèlements de tout nouveau campement sauvage, comme cela s'est passé en mai et encore ce mois-ci. "Sur les cent familles que nous suivons, résume Fabien Charbuillet, en charge des affaires sociales à la mairie de Montreuil et collaborateur de Dominique Voynet, 10 sont parties d'elles-mêmes, 10 ont été virées parce qu'elles ne jouaient pas le jeu notamment pour la scolarisation des enfants, qui est le pivot du projet, 22 sont en logements passerelles et 30 comptent un membre qui a trouvé un emploi…"
C'est le cas de Stefan, 24 ans, qui travaille depuis avril comme "agent polyvalent" dans un restaurant du côté des Quatre-Chemins, à Aubervilliers. "Je fais la plonge, le service, mais aussi les gâteaux et les entrées", énumère ce jeune homme, papa d'un petit Elvis et d'un bébé prénommé David, tous deux nés en France. Il revient tout juste du Salon emploi hôtellerie restauration, où il a déposé sept CV. Son CDD de six mois, 26 heures par semaine pour 800 euros par mois, s'achève en effet fin octobre…
Stephan a débarqué à l'âge de 17 ans avec ses cinq frères et ses parents. Après une scolarité réduite et quelques menus travaux dans l'agriculture, il est venu en France "gagner [s]a vie" en sachant très bien ce qui l'attendait : les squats, les cabanes… Aujourd'hui, il se débrouille avec le français, savoure le confort sommaire de sa caravane, pour laquelle il paie un loyer symbolique de 30 euros, et remercie sans cesse l'équipe de l'association ALJ 93, qui gère le "village d'insertion" de la rue Édouard-Branly.
Ils sont une dizaine (agents d'insertion, médiatrices, travailleurs sociaux…) à se relayer pour "accompagner" la cinquantaine de familles installées ici depuis un an dans autant de caravanes en bout de course fournies par la mairie. Une cuisine collective, un bloc sanitaire et quelques lampadaires complètent l'équipement. Le visiteur est accueilli par des bonjours, des poignées de main et des invitations à prendre un café. La précarité est encore palpable, mais on est loin de la misère crasse des campements sauvages. De beaux géraniums agrémentent le site, mais quelques minutes suffisent pour se rendre compte que vivent ici autant de rats que d'enfants…
"C'est pas grave", juge Cristian, conscient de la chance qui est la sienne d'avoir un toit et un "vrai" travail après des années de galère et de boulots au noir. "Grande maison, petite maison… L'important, c'est d'avoir une maison", explique dans un mauvais français ce trentenaire qui n'a jamais été à l'école et qui est aujourd'hui tout fier de recevoir chaque mois une fiche de paie et un chèque de 1.200 euros pour un job de manœuvre sur des chantiers. Son rêve? "Construire ma maison en France." En attendant, il espère que son CDD sera reconduit…
Pendant que les femmes assurent la navette des seaux d'eau entre les sanitaires et leurs caravanes, des hommes s'activent entre l'ancien hangar transformé en brocante et le portail du camp, qui rend invisible de la rue l'alignement des caravanes. Tapis élimés, vieilles télévisions, fers à repasser… Tout a été récupéré – "Ils connaissent par cœur l'itinéraire du passage des encombrants dans toutes les communes alentour", explique un travailleur social –, vaguement retapé avant d'être revendu contre une poignée d'euros "à des Africains" qui tiennent des marchés biffins. La "ferraille" et la mendicité sont toujours d'actualité. Si les visites sont libres jusqu'à 18 heures, une "veille" est assurée sur le site par l'association ALJ 93. "Ce n'est pas une prison, insiste Nora Oulhatri, chargée d'insertion. Mais il est hors de question de faire n'importe quoi sur le site. D'ailleurs, la police n'a jamais eu à intervenir, sauf une fois pour des jeunes qui s'étaient alcoolisés."
"Ils ne comptent pas parmi les plus pauvres"
La plupart des Roms de Montreuil sont originaires de la même région d'Arad, dans l'ouest de la Roumanie. "Ils ne comptent pas parmi les plus pauvres de la communauté rom ; tous ou presque disposent d'une maison en Roumanie, et on compte très peu de familles nombreuses", précise Marie-Louise Mouket, chef de projet. La levée des restrictions à l'emploi en janvier 2014 accélérera-t-elle l'intégration des adultes sur le marché du travail? "Ils s'adaptent mieux que certains chômeurs longue durée!", veut croire Nora. Mais on sait d'ores et déjà en mairie que la question du retour au pays risque de se poser pour une dizaine de familles…
Qu'adviendra-t-il d'ici un an et demi, quand le "village" fermera pour faire place à la construction de logements sociaux? Comment se passera la cohabitation entre Roms et d'autres populations appelées à bénéficier aussi des 22 logements passerelles du Bas-Montreuil? La petite Sarah pourra-t-elle poursuivre sa scolarité jusqu'au bout alors que le maintien au collège des jeunes filles roms se heurte à des "freins culturels" majeurs? Dans son petit T2 propret et décoré de fleurs artificielles, Corina, 33 ans, la maman de Sarah, qui espère obtenir un logement social prochainement, semble convaincue : "C'est une bonne élève. Je veux qu'elle aille à l'école longtemps…"
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