25 avril 2013

Précarité énergétique

Une étude britannique, réalisée en 2009 par le Centre d’analyse de l’exclusion sociale à la London School of Economics, validée par l’OMS, conclut qu’un euro engagé dans la lutte contre la précarité énergétique permet d’économiser près de 50 centimes de dépenses de santé.

Précarité énergétique : la création du guichet unique ne suffira pas
La loi du 15 avril a instauré un « service public de la performance énergétique » et l’extension des tarifs sociaux. Mais le public cible risque de ne pas s’emparer de ces dispositifs.

Alors que l’hiver est enfin terminé, Stéphane Joly, vice-président du centre communal d’action sociale (CCAS) de Reims (184 000 hab., Marne), s’attend à « un afflux de personnes dans l’impossibilité de payer les rappels de charges réclamés en avril et mai ».
En l’absence de chiffres actualisés (1) [2], on peut seulement estimer le nombre de Français en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire consacrant au moins 10 % de leurs revenus à leur facture d’énergie (chauffage essentiellement) : environ 4 millions de foyers ou 8 millions de personnes. Mais les voyants sont au rouge.
Ainsi, selon une étude de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale du mois de mars 2013 [3], près de 80 % des CCAS font face, depuis trois ans, à une hausse des sollicitations relatives à ces dépenses. La hausse continue du coût de l’énergie associée à la paupérisation de la population et à la mauvaise qualité thermique des logements expliquent cette progression.
Face à l’urgence, les annonces s’accumulent. Si le dispositif du bonus-malus énergétique a été censuré par le Conseil constitutionnel, la loi « Brottes » [4], promulguée le 15 avril, étend la tarification sociale de l’énergie à l’ensemble des foyers modestes et généralise la trêve hivernale des coupures d’alimentation en cas d’impayés.
Par ailleurs, le texte instaure « un service public de la performance énergétique de l’habitat », ce « guichet unique » annoncé dans le Plan d’investissement pour le logement présenté le 21 mars par le président de la République. Cette structure centralisera les propositions de l’ensemble des acteurs institutionnels de la rénovation énergétique.
Faibles résultats du programme « Habiter mieux » - Mais l’expérience prouve qu’en matière de précarité énergétique la justesse du ciblage conditionne l’efficacité du dispositif. Le 9 avril, les rencontres nationales de la précarité énergétique ont ainsi été l’occasion de revenir sur le bilan modeste du programme « Habiter mieux », piloté par l’Agence nationale de l’habitat, qui vise à inciter financièrement les propriétaires occupants à rénover.
Depuis son lancement, début 2011, ce programme n’a profité qu’à environ 20 000 ménages, faute de candidats éligibles et intéressés. La ministre du Logement, Cécile Duflot, a martelé que le dispositif « devait monter en puissance », notamment grâce à un assouplissement des critères d’entrée. Depuis mars, les propriétaires bailleurs peuvent en bénéficier et le seuil d’éligibilité est relevé à un niveau approchant le revenu médian.
Ciblage laborieux - On sait qu’une part importante des Français touchés par la précarité énergétique est constituée de propriétaires modestes, habitant en zone rurale et âgés, auxquels s’ajoutent les primo-accédants qui s’endettent pour acheter un logement rarement en bon état. Des personnes qui ne font généralement pas partie de la file active des services sociaux et qui ne sont donc pas visibles.
« Ces personnes âgées ont appris à se serrer la ceinture, à ne surtout pas demander », souligne Frédéric Levanier, du CCAS de Laval. A l’échelle d’une commune, ce repérage repose sur une connaissance fine de la composition sociodémographique de la population et du parc de logements, des informations que les acteurs locaux n’ont pas toujours en main. Lors de ces rencontres nationales, des acteurs engagés sur le terrain ont fait part de leurs tentatives pour aller au-devant de ce public.
Pour Rose-Marie Dang, sous-directrice adjointe de la Carsat Midi-Pyrénées (caisse de retraite), la solution a été de « profiter de l’opportunité du passage à la retraite, moment où l’on repense l’aménagement de sa maison, pour renforcer l’information ».
De façon pragmatique, Philippe Morice, directeur du Pact habitat et développement des Côtes-d’Armor, mouvement associatif particulièrement actif sur ce sujet, a décidé de tenir un stand sur les marchés locaux et mise sur des réunions de voisinage. « Une fois en face à face, il faut délivrer une information à la fois technique et accessible, a-t-il précisé. D’ailleurs, la précarité énergétique exige que deux secteurs très différents, le technique et le social, arrivent à s’entendre. »
Après avoir repéré, encore faut-il convaincre ! Les professionnels expliquent qu’il n’est pas aisé de présenter des travaux dont le montant varie de 10 000 à 30 000 euros, avec un reste à charge d’environ 20 %. « Et l’on peut difficilement évoquer un retour sur investissement sur quinze à vingt ans à une personne déjà âgée de 70 ans ! » soulève Philippe Morice.
La caution du maire - La relation de confiance est particulièrement délicate à instaurer quand les acteurs institutionnels passent après des commerciaux peu scrupuleux qui ont, par exemple, vendu des fenêtres au prix fort. « Les personnes confrontées à la précarité énergétique sont généralement dans une situation de précarité globale qui ne leur donne pas la capacité de se projeter », souligne Ana Perrin-Heredia, sociologue au Centre de sociologie des organisations.
Par ailleurs, cet accompagnement renforcé doit se prolonger après la réception des travaux, pour s’assurer de leur bon usage, avec l’apprentissage des « écogestes ». Face à l’ensemble de ces difficultés, Louis Gallois, président de la FNARS Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, qui ouvrait les rencontres de la précarité énergétique, en appelle au soutien des maires pour « rassurer et cautionner les projets ».

Comment améliorer le repérage et l’accompagnement des foyers en difficulté ?

« En abordant le sujet en toute occasion »

Frédéric Levanier, directeur du pôle d’accompagnement des personnes au CCAS de Laval – 54 100 hab., Mayenne.
Après avoir constaté une hausse des impayés des factures d’énergie, le CCAS a mis en place, il y a trois ans, des permanences d’information animées par du personnel formé par les fournisseurs. Depuis, l’expérience a essaimé dans une douzaine de communes du département. Ce service est ouvert à tous, bénéficiaires ou non du CCAS. Une fois le dialogue enclenché, on peut parler des causes des difficultés et organiser des visites à domicile. Nous tentons d’aborder le sujet en toute occasion, par exemple dans le cadre de l’épicerie sociale. Pour toucher plus de personnes, en particulier au sein du public âgé, je contacte actuellement les mutuelles.

« Avec plus d’information et un chèque-énergie »

Denis Merville, Médiateur national de l’énergie
Il faut renforcer l’information et la protection. De plus en plus de travailleurs sociaux des conseils généraux et des CCAS ont le réflexe de s’adresser à nos services pour régler des litiges entre les fournisseurs et les familles, mais nombre de ces professionnels ne maîtrisent pas assez l’information sur les tarifs sociaux. Il faudrait aussi que les fournisseurs remplissent leur rôle de conseil lors de l’ouverture de l’abonnement et tout au long de l’offre de service afin, notamment, de prendre en compte l’évolution des besoins du foyer. Enfin, je maintiens l’idée d’un chèque-énergie qui remplacerait les aides existantes, complexes et encore insuffisantes, et serait accessible à davantage de familles démunies.

« En regroupant les acteurs concernés »

Philippe Bernaz, directeur général de la solidarité et de l’action sociale du Puy-de-Dôme – 649 600 hab.
Avec la maison de l’habitat, nous avons une porte d’entrée unique vers les acteurs chargés du repérage du public en situation de précarité énergétique, du diagnostic des logements et de la mise en œuvre des actions du programme « Habiter mieux ». Créé à Clermont-Ferrand en 2003, ce lieu regroupe tous les services, associations et organismes d’information, conseil et accompagnement, pour particuliers et collectivités, qui interviennent autour de la question du logement. Cela nous avait déjà permis de travailler ensemble dans la lutte contre l’insalubrité. Nous avons transposé la même méthode à la lutte contre la précarité énergétique.

Les « Médiaterre » d’Unis-cité cités en exemple

D’ici à 2015, 1 000 emplois d’avenir seront affectés à des postes d’ambassadeurs « de l’efficacité énergétique » dans le cadre du Plan d’investissement pour le logement. Ils rejoindront les quelque 500 « Médiaterre » de l’association Unis-cité qui effectuent leur service civique auprès de familles en situation de précarité énergétique. « Nous avons été contactés par le gouvernement dans l’objectif d’agir dans la complémentarité », explique Stephen Cazade, son directeur. Depuis 2009, en partenariat avec des collectivités ou des bailleurs sociaux, les Médiaterre sont présents dans environ 80 quartiers. « Nous procédons en plusieurs étapes pour bâtir une relation de confiance. Nous prenons contact en organisant des animations en bas des immeubles avant de proposer un accompagnement renforcé », précise-t-il. Récemment, plusieurs collectivités, comme le conseil général de la Gironde, ont demandé à Unis-cité de déployer cette action en milieu rural, « où il sera plus difficile de repérer le public visé », reconnaît Stephen Cazade.
REFERENCES

Un dispositif à préciser
Si la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 crée un « service public » qui « assure l’accompagnement des consommateurs souhaitant diminuer leur consommation énergétique », il n’en précise ni les contours, ni la gouvernance, ni le financement. Le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur le sujet dans un délai de neuf mois.

Précarité énergétique et santé publique
En France, l’enquête Phébus, qui étudiera notamment les liens entre santé et usages de l’énergie, doit être publiée cet été.

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