entretien paru dans le journal l'Humanité
Alors que la mobilisation contre le décret Peillon s’intensifie, Christine Passerieux, militante du Groupement français d’éducation nouvelle, décrypte les travers de cette mesure et fait des suggestions pour sortir de l’impasse.
La lutte contre la réforme des rythmes se poursuit. Les animateurs parisiens se sont mobilisés hier. Ce sera au tour des enseignants demain. Des mobilisations qui ne surprennent pas Christine Passerieux, secrétaire nationale du Groupement français d'éducation nouvelle (GFEN), qui pointe le fossé entre le discours du gouvernement et les actes.
Êtes-vous surprise par l’ampleur de la contestation ?
Christine Passerieux. Pas du tout. Il suffit de connaître la situation dans les écoles pour comprendre la colère qui s’exprime actuellement. À Paris, la mise en place de la semaine de quatre jours et demi est tout simplement chaotique et, comme ailleurs, enseignants et élèves sont épuisés.
Les personnels d’animation sont également confrontés à des difficultés pratiques, comme le manque de locaux, l’irrégularité des horaires ou une formation insuffisante pour assurer toutes les activités qu’ils animent.
La situation est également le résultat de l’absence de véritable concertation au préalable. La précipitation de cette réforme a empêché de penser en profondeur son application, ce qui a engendré des erreurs tout à fait préjudiciables.
Quel bilan d’étape faites-vous ?
Christine Passerieux. Tous les bilans que nous établissons soulignent la grande fatigue des enseignants et l'accumulation de difficultés pratiques.
Nous avons des non-sens incroyables, comme des enfants de maternelle réveillés au beau milieu de leur sieste...
Nous constatons, surtout, de lourdes inégalités matérielles entre les communes, en termes de diversité des activités périscolaires et d'accès de tous les enfants à ces dernières. Mais ces problématiques organisationnelles éludent les questions de fond.
Notamment celle invoquée par Vincent Peillon pour cette réforme,qui est de faire reculer l'échec scolaire dans les milieux populaires. Un objectif dont la réforme des rythmes s'est, dès le début, détournée, avec la confusion très critiquable du ministère entre rythmes biologiques d'apprentissage et rythmes biologiques naturels.
Comment expliquez-vous un tel décalage entre les annonces et la réalité des réformes ?
Christine Passerieux. La refondation de l’école annoncée est un projet ambitieux, que je pourrais suivre dans l’absolu. Mais il y a effectivement des contradictions entre le discours et les actes.
Cette réforme précipitée de la semaine de quatre jours et demi résulte d'un effet d'annonce au sein d'une politique plus que contestable. Le ministre veut mettre en place un socle commun qui n'est pas encore défini, les programmes n'ont pas été renouvelés... Ce n'était vraiment pas le bon moment pour appliquer la réforme des rythmes. Quant au manque de moyens alloués à cette mesure, il n'est que le reflet d'une logique politique chère à la précédente majorité et avec laquelle le gouvernement n'a pas rompu : bâtir une économie de la connaissance qui met en concurrence les établissements et les élèves. Cette réforme des rythmes s'inscrit clairement dans l'acte 3 de la décentralisation. Et les inégalités entre territoires qui en découlent sont très révélatrices du système qui se profile.
Comment sortir par le haut de cette situation ? Faut-il réécrire le décret ? L’abroger ?
Christine Passerieux. Je pense, effectivement, qu’il faut une remise à plat totale avant de pouvoir à nouveau avancer. Cela implique de mettre de côté la réforme actuelle et de créer les conditions de la discussion.
Avec tous les acteurs : enseignants, chercheurs, organisations syndicales, parents... Nous devons savoir quelle école nous voulons, puis comment la mettre en place. Entre la réflexion, la concertation et la réorganisation, ça risque de prendre beaucoup de temps. Mais l’enjeu est essentiel et mérite qu’on s’y attarde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire