16 janvier 2013 Libération
La limitation du cumul des mandats, proposée depuis plusieurs années par le PS, sera applicable «pendant le quinquennat» a annoncé le Président ce jeudi. Mais le chemin risque d'être encore long.
Par LAURE EQUY, THIBAUD METAIS
Une limitation du cumul des mandats, sans la mise en place du mandat unique. Une réforme applicable «pendant le quinquennat» mais probablement pas pour les élections municipales de 2014.
Sur l'épineuse question du cumul des mandats, François Hollande a annoncé, ce soir lors de ses voeux aux bureaux des assemblées parlementaires, un projet de loi organique pour «en terminer avec le cumul d’un mandat national et d’un exécutif local». Evoquant «une évolution attendue depuis longtemps», il a défendu l'impact d'une telle loi qui devrait «favoriser le renouvellement [de la classe politique], peut-être son rajeunissement, sûrement sa féminisation». Et a précisé que la mesure concernerait «tous les parlementaires», députés et sénateurs. Mais en même temps, il a tenté de rassurer en soulignant que la mesure «n'empêchera pas l'exercice d'un mandat local [non exécutif, ndlr] pour ceux qui le souhaitent» et est resté vague sur son entrée en vigueur, laissant aux parlementaires la possibilité de la repousser à 2017. C'est que le président de la République connaît la vive opposition, y compris dans son propre camp, suscitée par cette réforme, pourtant très populaire auprès de l'opinion. Décryptage.
Un engagement pris par le PS
C'était l’engagement 48 du candidat Hollande. Mais cette règle devrait déjà être en vigueur chez les députés et sénateurs socialistes. En 2009 déjà, 71% des militants PS avaient voté pour cette exigence à l’occasion d’une consultation sur la rénovation du parti. Le 8 juin 2010, dans le cadre de la convention nationale sur la Rénovation du PS, chaque parlementaire socialiste s'était même engagé à quitter son mandat local avant le 1er octobre 2012. Trois mois après la date butoir, nombreux sont ceux qui continuent de cumuler un mandat parlementaire et un autre dans l’exécutif local (maire, adjoint, président ou vice-président de conseil général ou régional).
Une mesure formalisée par la commission Jospin
Le chef de l'Etat avait chargé la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, créée en juillet 2012, de faire des propositions. L’objectif de la commission présidée par l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, était de proposer une réforme générale de la vie publique. Avec notamment des réflexions sur la mise en place d’une part de proportionnelle dans les élections, le parrainage des candidats ou le statut juridictionnel du chef de l'État. Lionel Jospin, accompagné dans cette commission par des universitaires, des fonctionnaires et l’ancienne ministre Roselyne Bachelot, a rendu son rapport, intitulé «Pour un renouveau démocratique» en novembre. La commission y recense les parlementaires cumulards, et le constat est édifiant : «Aujourd’hui, 476 députés sur 577 (82%) et 267 sénateurs sur 348 (77%) sont en situation de cumul.»
La commission a soulevé l’incompatibilité des deux types de mandats exécutif local et parlementaire. Le cumul présente notamment un risque au regard de l’implication très directe des parlementaires dans les enjeux locaux. De plus, chaque poste offre un agenda souvent surchargé. Difficile donc de satisfaire pleinement aux exigences des différents mandats. La commission préconise donc de rendre incompatible le mandat de parlementaire avec toute fonction exécutive locale. Les pro-cumul arguant qu’un «ancrage local fort» est indispensable à leur mandat parlementaire, le rapport propose la possibilité de cumuler avec un «mandat simple» — c’est-à-dire de simple conseiller local — permettant au parlementaire de garder un ancrage politique local sans implication excessive. Cependant, les parlementaires ne toucheraient aucune rémunération pour leur mandat de conseiller.
Rien ne presse...
François Hollande ayant seulement promis ce soir une application de la réforme «pendant le quinquennat», il y a fort à parier que le non cumul ne sera pas mis en oeuvre aux élections municipales de 2014. De quoi rassurer sa majorité qui sait cette échéance difficile et pointait le risque de nombreuses législatives partielles dans la foulée des municipales - pour remplacer les députés ayant choisi leur siège de maire -, un scrutin toujours délicat pour le parti au pouvoir.
De fortes réticences à droite... et à gauche
Sans surprise, la mesure est rejetée en bloc à droite. Seul Bruno Le Maire a pris position en faveur d’une limitation du cumul des mandats. Le député de l’Eure avait déposé à l’automne une proposition de loi pour la «rénovation démocratique» allant dans ce sens. Le président de l’UMP Jean-François Copé, comme l’ensemble de son groupe, a, lui, défendu la double casquette maire-parlementaire qui «permet de conserver les pieds dans la glaise, sur le terrain».
Plus délicat pour François Hollande, la mauvaise volonté de son propre camp. Le président de la République, lui-même ex-cumulard (député et président du conseil général de Corrèze), sait qu’il va se heurter à d’importantes réticences de ses collègues socialistes. Le non-cumul a beau se tailler un franc succès auprès des militants PS, les parlementaires ont rechigné à se plier à la règle du mandat exécutif fixé par Solférino et qui devait prendre effet... fin septembre 2012. Désarmement unilatéral, invoquaient-ils, puisque les élus des autres partis - sauf les écologistes - ne s’interdisent pas de cumuler.
Sauf que la perspective d’un projet de loi ne les enchante guère plus. A l’Assemblée, plusieurs piliers de la vieille garde - Henri Emmanuelli, Michel Vauzelle - y sont opposés, mais aussi des députés de la jeune génération, comme Pascal Popelin (Seine-Saint-Denis) qui préfère une limitation à deux mandats - un seul exécutif - ou Sophie Dessus. La députée corrézienne qui a succédé à Hollande a réuni un groupe d’une cinquantaine de députés pour roder ses arguments pro-cumul. Mais c’est au Sénat que la résistance risque d’être la plus forte...
La fronde prévisible du Sénat
«Le texte de loi ne passera pas au Sénat», c’est un socialiste qui l’affirme. François Patriat, sénateur et président de la région Bourgogne table sur une «majorité opposée à la réforme» au palais du Luxembourg, citant le groupe RDSE (radicaux de gauche) et 80 socialistes.
Pourtant proche de Hollande, le président du groupe PS au Sénat, François Rebsamen, l’un des plus virulents opposants au non-cumul, plaide pour une dérogation pour les sénateurs. Ce qu'a rejeté Hollande jeudi en précisant que le projet de loi concernera «tous les parlementaires». Le sénateur-maire de Dijon a écrit à son groupe pour connaître les positions sur les propositions de la commission Jospin. Une trentaine de sénateurs se sont démarqués de leur chef de file, dans une pétition pour l’interdiction du cumul, et le président du Sénat, Jean-Pierre Bel a estimé que «le temps de la limitation des mandats est venu».
Les opposants à la réforme vont tenter de faire valoir que le Sénat doit trancher en dernier ressort sur le projet de loi organique puisqu’il concerne les collectivités qu’il est chargé de représenter. Faux, selon la commission Jospin, car le texte concerne autant le mode d’élection des députés. «Le Sénat peut montrer qu’il n’est pas d’accord mais, sur ce projet, l’Assemblée nationale aura le dernier mot», prévient aussi Bruno Le Roux, patron des députés PS, qui dit chercher un accord avec Rebsamen.
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