9 janvier 2013

Figure des quartiers, Yazid Kherfi invente la “médiation nomade”

 [1]

Vous souhaitez développer une structure de “médiation nomade”. Quel constat sous-tend votre démarche ?

Le soir, en particulier dans les quartiers classés en zone urbaine sensible, les jeunes se retrouvent face à eux-mêmes, sans interlocuteurs. Il n’y a pas, il n’y a plus de présence d’adultes dans l’espace public. Si ce n’est les policiers. D’ailleurs, la seule structure ouverte en soirée est le commissariat ! Alors que l’on sait bien que c’est précisément à ces horaires-là que la solitude est ressentie plus fortement, que la consommation de cannabis ou d’alcool augmente, que l’on constate davantage de comportements à risques et d’actes de délinquance. C’est aussi à ces horaires-là que l’on retrouve les jeunes dans les halls d’immeuble avec les nuisances que cela peut entraîner pour les habitants.
En partant de ce constat, je milite pour l’ouverture, le soir, de lieux de rencontre ouverts aux jeunes, avec une présence d’adultes, si possible des professionnels de la prévention. J’ai été animateur puis directeur d’une Maison des jeunes (à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines) qui restait ouverte très tard et je peux vous assurer que cette particularité était très appréciée et produisait des effets bénéfiques. Là où il y a plus de parole, il y a moins de violence. Pour démontrer, en situation, l’intérêt de cette démarche, je propose aux communes de venir sur leur territoire avec ma structure mobile.

Comment fonctionne, concrètement, la « médiation nomade » ?

J’expérimente actuellement la formule à Clichy-sous-Bois, précisément dans la cité du Chêne Pointu. J’arrive en fin d’après-midi avec mon camion graffé, très facilement repérable. Je suis accompagné d’une équipe de bénévoles, des personnes majoritairement issues du secteur social et aussi de futurs professionnels qui souhaitent avoir une expérience de terrain.
J’ai constitué cette équipe, qui est d’ailleurs ouverte à tout volontaire, au gré des conférences que je donne sur la thématique de la prévention urbaine et aussi via la page Facebook de mon association [3]. Ensemble, nous montons, souvent avec l’aide des jeunes, un barnum. Pour instaurer une ambiance conviviale, je mets de la musique et je propose des boissons. En début d’animation, viennent les pré-ados et les adolescents.
Un peu plus tard dans la soirée, arrive le public-cible, les 18-25 ans, garçons et filles. Nous allons aussi nous présenter dans les halls d’immeuble pour les inciter à nous rejoindre. Le dialogue se noue assez facilement. Il s’agit d’échanger sur leurs préoccupations, leur ressenti. On peut aussi aborder un sujet plus concret, par exemple travailler sur un CV. Selon la demande, nous essayons des les orienter vers les ressources locales.
Semaine après semaine, on constate un apaisement, en termes d’ambiance générale dans le quartier et en particulier aux pieds des immeubles. Par ailleurs, je remarque que les jeunes apprécient que l’on vienne jusqu’à eux, ils se sentent valorisés, d’autant plus qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de rencontrer des personnes extérieures à leur quartier.

Quel accueil recevez-vous des élus à qui vous proposez d’intervenir ?

Ce n’est pas simple. Il y a beaucoup de réticences. Les élus craignent, à tort, que cette structure ouverte ne crée des nuisances. Je sais aussi que ma démarche vient bousculer les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux, elle les interroge sur leur organisation pratique, ne serait-ce que sur la question des horaires de travail. Et j’assume tout à fait ce rôle d’empêcheur de tourner en rond !
Mon espoir est, qu’après notre passage, quand l’élu aura eu l’occasion d’en observer les bénéfices, il prenne la décision d’ouvrir un lieu équivalent, et cette fois-ci permanent.

Comment est financée votre action ?

Principalement par la fondation Abbé Pierre, dont la subvention permet de me salarier, à l’année et à mi-temps, sur un ensemble d’actions de prévention urbaine, subvention à laquelle s’ajoute une aide de la région Ile-de-France. Je demande à la collectivité de participer aux frais matériels de déplacement.
REFERENCES

Yazid Kherfi a un parcours atypique, marqué par des années de délinquance et un passage en prison. Il intervient aujourd'hui en milieu pénitentiaire, dans des instituts de formation et auprès des collectivités. Il est également chargé de cours à l'Université Paris X Nanterre et président de l'Association "Pouvoir d'Agir" à Clichy-sous-Bois.
Il a co-écrit deux ouvrages : « Repris de justesse » (2000) et « Quand les banlieues brûlent » (2006), éditions la Découverte.
Contact et renseignements sur son site web : www.kherfi.fr

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