10 janvier 2013

la banlieue dans Le Monde


Le Monde  jeudi 10 janvier
Le ministre de la ville sous le feu verbal des habitants des quartiers 

L’exercice de la participation citoyenne à la préfecture de Bobigny (Seine-saint Denis) dans un lieu symbole de la présence de l’Etat mais pas dans ses aspects les plus sympathiques, semblait une gageure. Et confier l’animation à une agence de communication augurait mal d’un échange spontané. Le premier rendez vous de la concertation avec les habitants des quartiers sur la politique de la ville, mercredi 9 janvier, a bien fait salle comble. Elus locaux du département, adjoints et divers responsables de la politique de la ville, représentants d’associations et de réseaux étaient venus nombreux dans le salon d’honneur sous le regard du ministre.
Mais il a fallu d’abord subir la mise en scène prévu de l’agence Campana et Eleb, missionnée pour animer le débat : un quart d’heure de film mettant en scène des paroles de jeunes, confondant de banalité ; prises de parole en rafale du panel d’habitants de Bobigny choisis par l’agence de communication, assis sagement sur les deux premiers rangs ; interventions benoites de l’animateur – « mais petite question au ministre, le ministre de la ville il s’occupe de quoi ? » ou « cette concertation, c’est une promesse ou un gros risque que vous prenez ? ». Mohamed Mechmache, président d’AC Le Feu et la sociologue Marie-Hélène Bacqué, tous deux chargés d’une mission sur la concertation avec les habitants, se font très discrets au premier rang. Le moment s’annonçait plus comme de la communication gouvernementale qu’un réel échange.
"Où sont les jeunes ce soir?"
François Lamy avait pourtant prévenu en propos liminaire, qu’il savait que cette série de quatre rencontres – après Bobigny, Rennes, La Seyne-sur-Mer et Strasbourg sont prévues – pouvaient être perçues comme des « grandes messes ». Il a donc enjoint les participants à la « franchise » : « je veux entendre ce qui va, ce qui ne va pas ». Le débat ronronnait quand un jeune de la cité Karl Marx de Bobigny est intervenu : « si vous faites le tour des cités, personne en sait qu’il y a une réunion ! Où ils sont les jeunes ce soir ? ». « J’ai l’impression qu’il y a un casting ce soir », s’est interrogée une femme de Sevran.
Un jeune homme, Aladine, qui s’était avancé progressivement presqu’au premier rang pour avoir enfin la parole relance : « Faire le tour des quartiers, super ! Mais AC Le feu a fait ça il y a cinq ans. En 2013 on recommence... Ca me fait mal au cœur de voir que tout leur travail a été mis dans un placard ! » Le ministre se défend : « ce qui a changé entre 2005 et 2012, c’est qu’il y a un nouveau gouvernement. La meilleure manière que ça change, c’est d’écouter et d’infléchir la politique de la ville », plaide-t-il.
"Cela fait 30 ans qu'il y a une politique de la ville et c'est un échec tonitruant!"
Il ne convainc pas les militants associatifs regroupés par petits groupes au fond de la salle. Un enseignant de Bagnolet interpelle : « une grande messe comme aujourd’hui, c’est pas comme ça qu’on fait de la concertation et qu’on va régler les problèmes. Vous nous demandez ce que nous voulons dans les quartiers ? Mais c’est ce que veut tout le monde ! Une éducation de qualité, un logement, un travail ! » Rachid du Forum social des quartiers populaires renchérit presqu’énervé : « cela fait 30 ans qu’il y a une politique de la ville et c’est un échec tonitruant ! Rétablir l’égalité, ce n’est pas l’égalité des chances, comme vous dites, mais l’égalité des droits ! »
François Lamy piqué au vif veut reprendre le micro mais le militant associatif ne lui en laisse pas le temps : « vous voulez donner du pouvoir aux gens mais on est dans des villes où les élus en sont à leur quatrième mandat ». L’animateur tente alors une sortie en annonçant qu’il prend les dernières interventions car il est bien tard. Peine perdue : la salle gronde un peu, veut encore parler et une voix s’écrie : « si vous soulez partir, partez ! Mais laissez nous parler, c’est ça la démocratie participative ». D’autres intervenants vont alors aborder tous les maux du 93 : la sécurité, l’école, l’environnement… Il est presque 23 heures, le ministre conclut en assurant qu’ « il faut sortir des clichés ». Mohamed Mechmache glisse : « ces réunions, c’est courageux de les organiser pour se confronter aux gens mais nous on va faire avec une autre méthode : aller rencontrer les gens là où ils sont, dans les quartiers ».
Sylvia Zappi

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