Partout en Europe, la pauvreté touche en priorité les enfants. Mais en France, elle affecte bien plus les enfants d’immigrés que ceux nés de parents français. Eléments d’explications.
La question est simple : « Et toi, est-ce que tu as peur de devenir pauvre un jour ? » La réponse, désespérante. « Oui », ont dit 58% des 8-14 ans interrogés par l’institut Ipsos, qui œuvrait pour le compte du Secours populaire. C’était en juillet 2012 (les résultats du sondage sont ici). Denouveaux chiffres, publiés le 26 février par l’organisme de statistiques européen Eurostat, confirment les craintes des plus jeunes : ils sont bien les plus exposés à la pauvreté.
C’est le cas dans la majorité des pays de l’Union européenne. Quand, à l’échelle des 27 Etats membres, 24% de la population globale est considérée comme à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (1), cette proportion atteint 27% chez les moins de 18 ans. Et diminue avec l’âge. La France ne fait pas exception, avec 23% de mineurs à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, contre 19,3% dans la population générale (20,1% des 18-64 ans et 11,5% des 65 ans et plus).
« Il ne fait pas très bon avoir un parent né hors de France »
Le plus marquant réside dans un paramètre : l’origine des parents. A l’échelle de l’UE, 18,3% des enfants dont les parents sont nés dans le pays de résidence courent un risque de pauvreté. En France, ce taux descend à 14,1%. Mais quand on s’intéresse aux enfants dont au moins l’un des parents est né à l’étranger, c’est près d’un enfant descendant d’immigré sur trois (31,5%) qui est menacé de pauvreté au sein de l’UE. En France, ce taux grimpe à 39,3% ! Seules l’Espagne et la Grèce font pire, avec respectivement 45% et 43%.
Pour Eric Fassin, sociologue spécialiste de l’immigration et des questions raciales (Paris VIII), un premier enseignement s’impose : « Quel que soit le pays, il vaut mieux ne pas être étranger. Mais en France, le coût social d’être étranger est encore plus important qu’ailleurs. »
Autrement dit, avec un risque de pauvreté et d’exclusion sociale 2,8 fois supérieur pour les enfants d’immigrés que pour ceux dont les parents sont nés en France, « il ne fait pas très bon avoir un parent né hors de France, en France… », commente l’économiste Olivier Bouba-Olga sur son blog.
« La France protège mal les enfants dont un parent est né à l’étranger du risque de pauvreté monétaire, c’est l’un des pires pays d’Europe, d’ailleurs, note l’économiste. Et comme elle protège bien, dans le même temps, les enfants dont les deux parents sont nés en France de ce même risque, la situation non seulement absolue mais aussi relative des enfants dont un des parents est né hors de France est la pire de l’UE à 27. Oui, vous avez bien lu : la pire… »
Dis-moi d’où viennent tes parents, je devinerai ton niveau de vie
« Le fait que les résultats en France sont pires qu’ailleurs s’agissant des enfants d’immigrés montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de classe sociale mais d’une discrimination raciale. Il y a, en France, sur-discrimination des populations immigrées, d’Afrique du Nord et sub-saharienne en particulier », analyse Eric Fassin.
Un point de vue corroboré par une étude de l’Insee, (l’Institut national de la statistique et des études économiques) en 2011, qui s’est intéressée au niveau de vie des descendants d’immigrés de France selon leur pays d’origine. Cette étude a confirmé que les descendants d’immigrés sont deux fois plus pauvres (21%) que les Français de parents français. Mais les écarts diffèrent selon leur origine. « Les descendants d’immigrés d’origine européenne ont un niveau de vie proche de celui des Français de parents nés français, tandis que les descendants d’immigrés originaires d’Afrique ont un niveau de vie inférieur en moyenne de 30% », notent les auteurs de l’étude.
« Pour les descendants d’immigrés originaires d’un pays d’Afrique, le taux de pauvreté est de 33,5%, contre 10,4% pour les descendants d’immigrés originaires d’un pays d’Europe », précise de son côté l’Observatoire des inégalités. Qui permet de visualiser les différences par ce tableau :
Mais attention aux idées reçues. « La population d’immigrés, de descendants d’immigrés et de Français de parents français n’est pas comparable du point de vue de l’âge, de la situation familiale, des qualifications, etc », prend soin de préciser l’Observatoire. « Si l’on compare des populations semblables, alors les descendants d’immigrés européens sont plutôt moins souvent pauvres que les Français nés de parents français. En revanche, pour les descendants d’immigrés originaires d’un pays d’Afrique, il persiste un écart supérieur à 10 points chez les moins de 25 ans. Pour eux, la probabilité d’être pauvre est de 17,8% contre 6,7% pour les descendants de parents français. »
Une situation qui peut s’expliquer, pêle-mêle, par l’absence de réseau pour s’intégrer dans la vie professionnelle, une moins bonne maîtrise de la langue, les discriminations, etc. Mais à partir de 35 ans, l’écart se réduit nettement.
Et sans attendre cet âge, l’espoir que ces inégalités s’estompent est de mise. Parce que, comme le relève encore l’Observatoire des inégalités sociales, à milieu social équivalent, les enfants d’immigrés sont meilleurs à l’école que ceux nés de parents français. Parce qu’ils ont souvent une furieuse envie d’ascension sociale. De celles qui font déplacer des montagnes.
(1) Les personnes à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale correspondent à au moins une des trois conditions suivantes : • elles vivent dans un ménage disposant d’un revenu disponible inférieur au seuil de pauvreté • elles sont en situation de privation matérielle sévère, ont des conditions de vie limitées par un manque de ressources et ne peuvent pas se nourrir ou se chauffer correctement, payer leurs factures et/ou le loyer, faire face aux dépenses imprévues, etc. • elles vivent dans des ménages où les adultes âgés entre 18 et 59 ans ont utilisé en moyenne moins de 20% de leur potentiel total de travail au cours de l’année passée. Les étudiants sont exclus.
Les chiffres de la pauvreté infantile en France
Aujourd’hui, 2 665 000 enfants vivent, sur le territoire hexagonal, sous le seuil de pauvreté (fixé à 60% du revenu médian soit 954 euros après impôt et prestations sociales pour une personne seule). C’est presque un enfant sur cinq (19,6%). Dans les zones urbaines sensibles, là où les descendants d’immigrés sont concentrés, où les taux de chômage, de familles monoparentales et de familles nombreuses sont les plus élevés, et où le niveau de diplômes est plus faible qu’ailleurs (lireVotre ville est-elle inégalitaire ?), ce sont 49% des enfants qui vivent en situation de pauvreté.
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